Histoire du français –
Aux origines de notre langue
« On ne connaît d’où est un homme qu’après qu’il a parlé. L’usage et le besoin font apprendre à chacun la langue de son pays ; mais qu’est-ce qui fait que cette langue est celle de son pays et non pas d’un autre ? » Cette question de Rousseau est plus que jamais d’actualité puisque certains se demandent si le français ne va pas finir par rejoindre son ancêtre latin dans la famille des langues mortes.
Remontons le cours du temps pour observer la lente et irréversible évolution de notre bon vieux français, cette poussière dans la tour de Babel.
Grrr…
« On n’a jamais vu naître une langue ». Pour le grand linguiste Ferdinand de Saussure, impossible donc de dater la naissance du français. Mais on peut en chercher les origines en remontant à la « révolution du paléolithique supérieur » qui, il y a 40 000 ans, aurait vu l’apparition d’un langage articulé digne de ce nom.
Il suffit d’observer l’anatomie de nos ancêtres et leur capacité, à cette époque, à tisser des relations afin d’échanger des outils et créer des œuvres d’art (grottes ornées) pour ne plus douter de leur capacité à papoter. Des langues se seraient ainsi peu à peu formées jusqu’à ce que l’une d’elles prenne plus d’importance : c’est la théorie de l’indo-européen, toujours discutée de nos jours.
Au XVIIIe s., l’anglais William Jones, découvrant des similitudes entre le sanskrit, le grec et le latin, en avait conclu l’existence d’une langue-mère apparue au néolithique en Inde, à moins que cela ne soit du côté de la mer Noire… Seuls quelques rares dialectes, comme l’euskara basque, auraient su lui résister.
La plupart des communautés occupant notre région avant l’arrivée des Romains parlaient donc une langue gauloise issue de la branche celte de l’indo-européen que, faute de supports écrits, nous ne connaissons guère. Tout cela parce que les druides étaient trop jaloux de leur savoir pour le partager en inventant une écriture !
De l’origine des langues
« Il est donc à croire que les besoins dictèrent les premiers gestes, et que les passions arrachèrent les premières voix. [...] On prétend que les hommes inventèrent la parole pour exprimer leurs besoins, cette opinion me parait insoutenable. L’effet naturel des premiers besoins fut d’écarter les hommes et non de les rapprocher. Il le fallait ainsi pour que l’espèce vint à s’étendre, et que la terre se peupla promptement, sans quoi le genre humain se fut entassé dans un coin du monde, et tout le reste fut demeuré désert. De cela seul il suit avec évidence que l’origine des langues n’est point due aux premiers besoins des hommes, il serait absurde que de la cause qui les écarte vint le moyen qui les unit. D’ou peut donc venir cette origine ? Des besoins moraux, les passions. Toutes les passions rapprochent les hommes que la nécessité de chercher à vivre force à se fuir. Ce n’est ni la faim ni la soif, mais l’amour, la haine, la pitié, la colère, qui leur ont arraché les premières voix. Les fruits ne se dérobent point à nos mains, on peut s’en nourrir sans parler, on poursuit en silence la proie dont on veut se repaître : mais pour émouvoir un jeune cœur, pour repousser un agresseur injuste, la nature dicte des accents, des cris, des plaintes. Voila les plus anciens mots inventés, et voila pourquoi les premières langues furent chantantes et passionnées avant d’être simples et méthodiques. » (Jean-Jacques Rousseau, De l’Origine des langues, 1781)
Rosa, rosa, rosam…
Aux alentours de 52 av. J.-C., César et son latin s’imposent dans une grande partie de l’Europe. Né au VIIIe s. d’un dialecte du Latium, cette langue devient vite celle des élites colonisées tandis que dans les couches plus populaires, un « mauvais latin » est diffusé par les légionnaires. Eux ne désignent pas le cheval par le terme noble d’equus, mais l’appellent cabalus ; celui-ci, pour les premiers pourra être magnus (grand) et pour les autres grandis.
Au fil des années, mots et structures se laissent influencer par les parlers locaux pour former une sorte de latin local rustique qu’on a finalement appelé le roman.
Les termes se voient souvent rétrécis, à l’exemple de hospitalem qui devient notre hôtelmais dont la racine est toujours présente dans le plus « noble » hospitalité. Les s placés en fin de syllabe payent aussi le prix de cette évolution : on ne dira plus bestia maisbête, l’accent circonflexe marquant la place de la lettre latine désormais fantôme.
Le latin savant n’en disparaît pas pour autant puisque, comme nous le verrons au fil des siècles des initiatives ont permis l’ajout dans notre vocabulaire de nombreux mots, permettant des cohabitations parfois étonnantes entre forme pure et forme « bâtarde » : auriez-vous fait le lien entre ligature et lier, auriculaire et oreille, paon et se pavaner ?
Quintilien et les mots étrangers du Latin
« […] les mots, comme je l’ai dit, sont ou latins ou étrangers. Or, par mots étrangers, j’entends ceux qui nous sont venus de presque toutes les nations, comme il nous en est venu beaucoup d’hommes et beaucoup d’institutions. Je passe sous silence les Toscans, les Sabins et même les Prénestins ; car quoique Lucilius reproche à Vettius de se servir de leur langage, de même que Pollion a cru remarquer dans Tite-Live quelque chose qui sent le terroir de Padoue, je puis considérer comme Romains tous les peuples de l’Italie. Plusieurs mots gaulois ont prévalu, tels que rheda [chariot] et petorritum[chariot suspendu], qu’on trouve l’un dans Cicéron, l’autre dans Horace. Les Carthaginois revendiquent mappa [serviette], usité dans le cirque ; et j’ai entendu dire que gurdus, dont le peuple se sert pour désigner un niais, a une origine espagnole. Au surplus, dans ma division, j’ai particulièrement en vue la langue grecque, parce que c’est d’elle que la nôtre s’est formée en grande partie, et que même nous nous servons au besoin de mots purement grecs, comme aussi quelquefois les Grecs nous font des emprunts » [Quintilien, Institution oratoire, I, 95 ap. J.-C.).
Des Barbares à tous les coins de phrases
Mais alors qu’il se croyait bien installé en Gaule, le latin vit arriver de tous les côtés des individus étranges qui baragouinaient des langues incompréhensibles : les Barbares ! Plus que le mode de vie ou l’aspect, c’est en effet la langue qui, aux yeux des Grecs puis des Romains, différenciait les peuples. Le Barbare n’est-il pas à l’origine celui qui n’est capable que de s’exprimer par des borborygmes ridicules, genre « brbr », d’où son nom ?
À partir du IIIe s., le temps n’est plus à la moquerie : les envahisseurs germaniques(Francs, Wisigoths, Burgondes…) sont en train de déferler sur l’Empire. Malheur au latin ! Mais alors qu’il semble voué à la disparition, il résiste au point de sortir vainqueur de ces idiomes envahisseurs qu’il va diluer dans une nouvelle langue, le roman.
L’affaire ne se fait pas sans mal puisque l’ennemi résiste en influençant la prononciation (le h aspiré, d’origine franque) et en phagocytant le vocabulaire avec des centaines de mots, pour la plupart d’ailleurs déjà présents avant les invasions. La place des termes en est parfois toute chamboulée, les Francs n’aimant rien tant que de placer les adjectifs devant les noms. Et voici comment cohabitent aujourd’hui Châteauneuf et Neufchâteau,Longeville et Villelongue…
Charlemagne, le « Monsieur Propre » de la langue
C’est à l’Église que l’on doit la persistance du latin dans le nouveau royaume des Francs où se multiplient les monastères. Dans les ateliers de copistes monastiques, on continue à reproduire inlassablement les grands textes bibliques ou de culture gréco-latine. Mais qu’ont encore en commun ces écrits et la langue parlée par le peuple ? Pratiquement rien !
Constatant que la rustica romana linguade la rue ne permet plus de comprendre les messes, en 813 le concile de Tours en vient même à demander à ses prêtres de traduire leurs prêches pour que les fidèles les comprennent.
Sur ordre de Charlemagne, qui parle un dialecte germanique mais révère le latin, le savant Alcuin s’enferme dans l’abbaye Saint-Martin de Tours pour rendre enfin accessible au plus grand nombre le texte de la Vulgate (traduction de la Bible). Recherche du latin pur, rédaction de glossaires, travail sur la graphie, politique de diffusion…
À l’exemple de son élève Raban Maur, dit le « Précepteur de la Germanie », toute une armée de savants se met au travail pour réaliser le rêve de l’empereur : trouver une langue commune qui permette à tous les chrétiens d’Europe de communiquer.
Outil principal de cette période de renouveau culturel que fut la Renaissance carolingienne, cette quête devient une telle priorité que les poètes comparent les victoires guerrières de Charlemagne à sa quête des coquilles au sein des livres :
« Héros très courageux, il jette à terre, par ses guerres, les sauvages
Le roi Charles ne le cède à personne par l’éclat du cœur
Sans souffrir que les ronces de l’erreur s’immiscent parmi les livres,
sublime par son zèle, en tout il corrige bien » (cité dans Monumenta Germaniae Historica, 1881).
Avec « l’empereur à la barbe fleurie », c’est le début de la mainmise des autorités sur la langue, quitte à aller à contre-sens de l’évolution normale. Faut-il remercier ses acolytes linguistes d’avoir réintroduit des termes latins inconnus dans la langue courante ? Et c’est ainsi que le « frère » se trouva enrichi de l’adjectif « fraternel », fort peu populaire
http://www.herodote.net/Histoire_du_francais-synthese-2087.php
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