L’Homme et la Nature : le couple infernal !
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Je t’aime, moi non plus… Quel refrain s’applique mieux aux relations qui lient la Nature et l’Homme depuis les origines ?
Nous aimons la Nature, certes, mais ne cessons de nous en méfier, de chercher à l’apprivoiser et parfois à la détruire au point de compromettre notre avenir commun.
Vous avez du feu ?
N’exagérons rien : ce n’est pas le jour où l’un de nos lointains ancêtres a brisé une branche qu’il a commencé à détruire son environnement. Mais ce geste est le symbole de sa capacité à soumettre un environnement qui, au fond, le terrifie.
Alors que la plupart des animaux se contentent de s’adapter aux contraintes naturelles, les bipèdes vont décider de s’en émanciper. Une belle flambée et fini le froid, l’obscurité, les prédateurs !
Arrivés en Europe, les voilà qui regardent d’un mauvais œil rhinocéros laineux, aurochs et autres tigres aux dents de sabre. Qu’à cela ne tienne ! Quelques artistes talentueux apprivoiseront ces nuisibles sur les parois des grottes de Chauvetou Lascaux. Et si cela ne suffit pas, soyons sûr que la pratique de plus en plus habile et donc efficace de la chasse ou de la pêche aura aidé certaines espèces à déserter notre voisinage.
Si l’on discute toujours aujourd’hui de leur responsabilité dans la disparition des célèbres mammouths (12 000 av. J.-C.) et de plusieurs de leurs collègues herbivores, on doit reconnaître que nos chers Homo sapiens et Neandertal sont loin de l’image d’Épinal. Ils avaient déjà en effet, à leur petite échelle, un impact non négligeable sur leur environnement.
Saura-t-on jamais s’ils n’ont pas fait disparaître pour toujours des dizaines de plantes ? N’estime-t-on pas que près de 80 % des grands mammifères américains ne se remirent pas de leur rencontre avec l’Homme, dès lors qu’il eût repéré le passage du détroit de Béring (12 000 av. J.-C.) ? Les prédateurs ont changé de camp !
« La Nature est un temple… » (Baudelaire)
Il y a environ 10 000 ans, nos chasseurs se font paysans. Ils commencent à sélectionner et parquer les animaux et les plantes et donnent naissance à de nouvelles espèces souvent inaptes à survivre à l’état sauvage. Savez-vous ainsi que nos races de vaches ou moutons ont moins de 150 ans ?
Aussi longtemps que la terre abonde, les premières communautés paysannes ne font pas de manières.
Elles brûlent une parcelle de forêt et sèment des graines sur les cendres. Lorsque le sol est épuisé, elles vont un peu plus loin renouveler l’opération. Cette agriculture primitive sur brûlis, destructrice de la sylve et de l’humus, est encore pratiquée du Brésil à l’Indonésie en passant par l’Afrique tropicale et Madagascar.
Puis, nos chers aïeux transforment les forêts en champs permanents ou en rizières. Ils fondent aussi des villes pour loger une population toujours plus nombreuse et creusent la terre à la recherche de précieux minerais.
Au Moyen-Orient, des cours d’eau artificiels apparaissent grâce à une parfaite maîtrise de l’irrigation qui multiplie les zones cultivées au détriment des forêts de la région.
Celles-ci vont également souffrir de l’augmentation de la population et de ses besoins en matière de construction, de métallurgie et de chauffage, au point de totalement disparaître. Que reste-t-il, en Irak, du Croissant fertile de l’Antiquité ?
Pour imaginer sa splendeur passée, on peut rêver devant les « maisons-montagnes »que sont les ziggourats. Elles rappellent de façon édifiante la place, dans ces sociétés, de la religion dont un des premiers objectifs était alors de se concilier les forces terrifiantes de la nature.
Sont toujours là pour nous le rappeler les grands mythes qui, à l’exemple de celui du déluge, cherchent à expliquer les colères de la Terre.
Du côté du Nil, une grande partie des dieux égyptiens revêtent l’apparence d’animaux sauvages. Ils témoignent du mélange de crainte et d’admiration que les habitants ressentent pour la Nature. Parfois père fouettard, elle est par-dessus tout la mère nourricière qui dispense ses bienfaits.
Tout cela est très bucolique
Dans la Grèce antique, l’homme, peut-être moins inquiet pour sa survie, commence à prendre du recul et à s’interroger sur sa place au sein de l’univers. La nature est toujours vénérée pour sa beauté et sa générosité, on honore les sources et célèbre certains arbres comme l’olivier de l’Acropole, mais les dieux perdent leur aspect animal et sont relégués sur l’Olympe.
Pour les philosophes, la nature commence à se réduire à un ensemble unifié, parfaitement organisé et soumis à l’homme : « S’il est bien des merveilles en ce monde
Il n’en est pas de plus grande que l’homme » (Sophocle, Antigone).
Ne soyons donc pas surpris que les Grecs fassent preuve de brutalité en déboisant sans remords la péninsule hellénique et les îles de la mer Égée, que Platon comparait « à un corps décharné par la maladie » (Critias).
On peut voir dans ces regrets tardifs l’origine du latin locus amoenus (« lieu agréable ») pour désigner la nature originelle où le sage Lucrèce aurait aimé trouver beauté et repos (De natura rerum, 1er siècle av. J.-C).
Cette nature idéalisée se retrouve dans le mythe de l’Âge d’or évoqué par Ovide : « La terre, sans être violée par la houe, ni blessée par la charrue, donnait tout d’elle-même »(Métamorphoses).
Les Romains, en effet, ne cessent d’encenser la vie des bergers (Virgile, Les Bucoliques, 1er siècle av. J.-C.), tout en célébrant par la création des villes et des réseaux routiers leur victoire sur la sauvagerie.
Ode à la nature
« Heureux vieillard, tes champs te resteront donc ! et ils sont assez étendus pour toi, quoique la pierre nue et le jonc fangeux couvrent partout tes pâturages. Des herbages inconnus ne nuiront pas à tes brebis pleines, et le mal contagieux du troupeau voisin n’infectera pas le tien. Vieillard fortuné ! là, sur les bords connus de tes fleuves, près de tes fontaines sacrées, tu respireras le frais et l’ombre. Ici l’abeille d’Hybla, butinant sur les saules en fleurs qui ceignent tes champs de leur verte clôture, t’invitera souvent, par son léger murmure, à goûter le sommeil : et tandis que du haut de la roche l’émondeur poussera son chant dans les airs, tes chers ramiers ne cesseront de roucouler, la tourterelle de gémir, sur les grands ormeaux » (Virgile, Les Bucoliques, 1er siècle av. J.-C.).
Du Paradis au purgatoire
La culture médiévale renoue avec la nostalgie du Paradis terrestre où l’Homme vivait en paix. Malheureusement, les meilleures choses ont une fin et voilà les hommes condamnés à subsister dans une nature hostile à laquelle ils doivent jour après jour arracher leur subsistance.
Suite à l’effondrement des institutions romaines, aux grandes invasions et à la dépopulation, la forêt a partout pris sa revanche.
Après l’An Mil, la reconquête agricole est favorisée par le réchauffement climatique et la croissance de la population.
Les défrichements et l’extension des labours font reculer partout la forêt et la lande, au point d’inquiéter les seigneurs, grands chasseurs devant l’Éternel.
En 1346, par l’ordonnance de Brunoy, le roi de France Philippe VI limite sévèrement les droits d’usage dans les forêts du domaine royal « afin qu’ils se puissent perpétuellement soustraire en bon état ». C’est sans doute la plus ancienne loi écologique du monde !
Nos campagnes prennent leur aspect actuel avec le maillage du territoire par lesvillages et les monastères, très actifs dans la gestion du patrimoine naturel.
Les chemins, les canaux et les mares, les haies et les bocages remodèlent les paysages et les humanisent tout en enrichissant leur biodiversité.
En Extrême-Orient, dans la Chine des Song (Xe-XIIe siècles), on poursuit avec la même assiduité la domestication de la nature, des fleuves et des montagnes avec force digues et terrasses.
Comme en Occident, les paysans développent une agriculture économe des ressources naturelles et apprennent à gérer la pénurie. La cuisine chinoise conserve le souvenir de cette pénurie à travers l’art d’accommoder les restes.
Les villes explosent grâce entre autres au développement du commerce le long des voies navigables, pour certaines artificielles tel le Grand Canal qui unit sur 1 700 km Pékin à Hangzhou.
Plus au sud, les Khmers mettent au pas la nature tropicale autour d’Angkor, où ils entreprennent de gigantesques aménagements hydrauliques pour établir leur métropole religieuse (IXe-XIVe siècle). Mais la démesure de leur entreprise va les conduire à leur perte…
Même chose en ce qui concerne lacivilisation maya (IX-XIe s.), en Amérique centrale, dont l’effondrement aurait été provoqué par une agriculture intensive sur brûlis entraînant déforestation et usure des sols.
Le choc des Grandes Découvertes
Le jour de 1492 où Christophe Colomb a posé le pied sur le continent américain, l’histoire des rapports entre l’Homme et la nature s’est emballée.
On connaît les conséquences humaines des Grandes Découvertes : la réduction de 90 % de la population amérindienne en 150 ans du fait essentiellement de l’introduction involontaire du virus de la variole, contre lequel les Amérindiens, à la différence des Européens, n’étaient nullement immunisés. À ce « choc microbien » s’ajoutent les guerres indiennes et l’introduction massive d’esclaves africains. (…)
Extrait de Hérodote