Elle s’appelle Suzanne, elle est née en décembre 1911, dans une petite ville de France en Normandie.
Elle était l’avant-dernière de 11 enfants. Son père était menuisier et sa même élevait la marmaille. Il semble qu’il s’agissait, sinon de gens riches, du moins qui n’étaient pas dans le besoin.
Le malheur a frappé deux fois à 6 mois d’intervalle. Le père est décédé à la maison de crise d’urémie et la maman, 6 mois après, de tuberculose.
Poussées par la faim, Suzanne et sa petite sœur Marcelle âgée de 2 ans passés, sont sorties de la maison et ont erré dans les rues en quête de nourriture.
C’est là qu’elles ont été trouvées.
La plus jeune a été mise en orphelinat où elle a pu faire quelques études et Suzanne, à été placée chez un paysan pour y faire tous les travaux de la ferme. Souvent enfermée dans le placard à balais pour la moindre faute, punie à coups de sabots dans le derrière et mangeant seule à la cuisine comme une pestiférée, c’est ainsi qu’elle a grandi.
Elle avait alors 11 ans et c’était ma mère.
Avant dernier de 4 enfants, André a vu le jour à Evron dans la Mayenne en Février 1913. Sa mère, Marie, petite femme boulotte, s’occupait des gosses et son père Victor était le patron d’un hôtel restaurant dont il était le cuisinier.
C’est auprès de lui qu’ André va grandir et apprendre, à coups de taloches, le même métier que lui, après quoi, il sera envoyé par ce dernier à Paris pour y faire sa vie, armé d’un petit baluchon et de quelques pièces de monnaie.
Il est beau et plait beaucoup aux filles il n’aura donc pas besoin de faire des efforts pour obtenir ce qu’il veut. Cette facilité lui cachera l’intérêt qu’il ya à sélectionner ses désirs et à analyser ce qui se présente sur son chemin.
Il n’a pas quinze ans. C’était mon père.
Les années ont passé, ma mère a changé de « crémerie » et est maintenant employée dans une famille de maraîchers dans la Mayenne, qui vendent sur les marchés «beurre, œufs, fromages » et comme il s’agit de personnes beaucoup plus humaines que les précédents tortionnaires, elle réapprend à compter en les aidant dans la vente de leurs produits.
Dans sa vie, Suzanne ne saura faire que deux opérations : la soustraction et l’addition mais pour le reste, elle deviendra très forte en calcul mental et quand elle se trompera, ce sera vraiment de très peu.
Elle aura aussi une belle écriture régulière et appliquée et si elle fait des fautes, elle s’appliquera à en faire le moins possible car elle est intelligente et a une très grande soif d’apprendre mais comme elle est très timide et aussi complexée, elle n’ose pas faire part de ses souhaits à son entourage qui pourrait se moquer d’elle.
C’est une laborieuse, doublée de sérieux et ses patrons l’estiment beaucoup. Elle a appris d’eux à mettre de l’argent de côté chaque mois afin de se constituer un petit pécule pour plus tard et comme ils ont confiance en elle, quelquefois, ils la laissent sortir le soir pour aller danser, ce qu’elle aime et qu’elle fait si bien. Elle a 25 ans (1936)
André lui, fait sa vie et la vie à Paris. A son arrivée, Il a trouvé un emploi d’apprenti cuistot chez « Graff » un restaurant à Pigalle, ouvert la nuit, et offrant à sa clientèle de tous bords, des spectacles de striptease. Les péripatéticiennes sont légions dans ce quartier de plaisirs et André est « à la colle » avec l’une d’elles alors qu’il n’a pas encore quinze ans.
Après tout, la vie ne semble pas trop mal se goupiller pour ces deux là sauf que, étant très différents l’un de l’autre, il aurait été préférable qu’ils ne se rencontrent jamais, car être différent c’est bien, cela enrichit mais être à l’opposé l’un de l’autre, forme une frontière parfois infranchissable.
Il a 23 ans et se prépare pour aller danser.
Il faut croire que les contraires s’attirent puisqu’un jour…………..
La baraque a été installée sur la place de l’Hôtel de Ville à Evron, déjà les couples se présentent et après avoir acquitté le droit d’entrée, ils reçoivent sur le dessus de la main, le tampon faisant foi de leur paiement.
Des bancs sur les deux côtés accueillent leurs premiers visiteurs et l’orchestre se prépare en effectuant quelques gammes sur le piano, bientôt rejoint par l’accordéon à touches.
Ce soir c’est le 15 aout, le matin, c’était au tour de la sainte Vierge d’être honorée comme il se doit et maintenant, les jeunes du village et d’alentours vont oublier leurs soucis quotidiens et tourbillonner jusqu’à n’en plus finir.
Sur la piste un couple se fait remarquer ; lui, pas très grand (1m70) et elle, plus petite, bien belle dans sa robe à fleurs dansent une valse et ils tourbillonnent un coup a l’endroit, un autre à l’envers comme pourraient le faire les ballets russes.
Quelques tangos et slows plus loin, les corps se sont rapprochés , pas trop tout de même, juste ce qu’il faut pour que l’un communique son désir à l’autre qui l’accepte sans rien laisser paraître.
Suzanne est une fille appréciée de tout son entourage et surtout des plus âgés qui voient en elle une fille vertueuse, qui ferait surement une bonne épouse et une bonne mère et c’est pourquoi, quand André la présente à ses parents elle est accueillie à bras ouverts.
Marie, la mère n’a surement pas dit grand-chose, habituée qu’elle était à laisser son époux parler et Victor, qui n’était guère plus bavard, a simplement tapé sur l’épaule de son fils en guise d’approbation.
Avant de devenir Monsieur et Madame « A » ils sont séparés quelque temps puisque la vie d’André est à Paris et celle de Suzanne dans la Mayenne et on peut imaginer que seules des lettres, bourrées de fautes pour l’un, pleines de retenue pour l’autre font le lien entre les deux amants qui ne l’étaient certainement pas.
Enfin, le moment tant attendu de s’unir est arrivé, mairie et église ont donné leur consentement et le mariage a pu enfin être consommé.
Comment cela s’est il passé ? seuls, les acteurs de cette scène pourraient le dire mais ils ne sont plus là pour le faire, et même s’ils l’étaient, c’est avec une certaine vulgarité que lui, raconterait et elle, rougirait jusqu’aux oreilles intimement convaincue que « ces choses là » se font entre époux mais ne se racontent pas.
Elle soumise, lui hâbleur, Monsieur « je sais tout, j’ai tout vu et tu la fermes, » le nouveau couple va bâtir une nouvelle vie faite de…………..
Ils se sont installés tout d’abord dans une petite chambre de bonne au 6ème étage d’un immeuble du XVIè arrondissement et quand un appartement s’est libéré, ils ont commencé à vivre au rez-de-chaussée, dans un trois pièces en enfilade, qui donne sur une petite cour dont ils assurent l’entretien.
Lui, travaille toujours chez Graff et elle s’occupe de sa maison à laquelle elle doit tenir comme à la prunelle de ses yeux. Pensez donc ! pour la première fois, maîtresse chez elle.
Elle a installé, nettoyé, briqué tous les meubles dont un superbe buffet Henri III qui trône dans la salle à manger.
Dans sa minuscule cuisine, elle concocte de merveilleux plats faits avec trois fois rien car si lui est cuisinier, elle, elle est « cordon bleu » et très économe, elle sait faire bouillir la marmite sans dépenser toute sa fortune.
Une fortune qu’elle n’a pas car, en bon maître de famille, André ne lui donne pas toute sa paie mais seulement une partie qu’il a estimé suffisante et avec laquelle elle doit tenir tout un mois.
En fin de mois, Il a pris l’habitude de déposer sur le coin du buffet sa « générosité » qu’elle ramasse précieusement.
Il est assez difficile d’imaginer que ce couple est harmonieux car trop de choses les séparent.
Lui, travaille surtout le soir et la nuit (un restaurant à Pigalle se remplit de clients de la nuit et d’étrangers de passage venus s’acoquiner l’espace de quelques heures)
Elle, livrée à elle-même toute la journée ce qui ne doit pas, au départ, la déranger beaucoup car seule, elle l’a toujours été et elle est habituée à obéir, se taire et peut-être aussi rêver mais à quoi ?
Mais à quoi rêve une petite jeune femme qui n’a pas eu d’enfance, qui a connu une adolescence dont une partie a été malmenée, et qui s’est mariée, elle petite campagnarde, avec un beau gars de la ville ?
Il ne faut pas lui demander car il est possible qu’elle ne sache pas répondre à cette question.
En janvier 1938, peut être à cause d’un hiver très rigoureux qui maintenait bien serrés sous la couette, les couples légitimes, peut-être à cause d’une ovulation qui a pointé le bout de son nez un jour de congé du chef, toujours est il qu’ils ont fabriqué une petite fille qui naitra 9 mois plus tard.
Là encore, des questions resteront sans réponse :
-ont-ils voulu cet enfant ?
- est ce un accident car sa venue n’était pas prévue si tôt ?
-le père sera-t-il fier de prouver au monde entier qu’il est, en plus d’un amant merveilleux, un bon géniteur ?
-que ressent-elle à l’idée de porter la vie dans son sein,
-a-t-elle déjà des plans pour aimer de toutes ses forces cet enfant qui va naître ?
Il est plus que probable qu’elle n’a rien ressenti de tout cela, la nature avait fait son œuvre et il fallait l’accepter et comme par ailleurs tout ceci était parfaitement légal alors……
Même s’il est impossible de répondre pour elle, elle a bien sûr préparé la layette, acheté une commode pour y déposer les petits chaussons. Mais de quelle couleur étaient ils ces tout petits vêtements puisqu’on ne connaissait le sexe qu’a la naissance ? Du bleu, du rose, peut être même a-t-elle osé tricoter quelques brassières en jaune ou vert amande, même si cela était très osé pour l’époque. Le blanc était tout de même plus neutre
Ce qui est sur, c’est qu’en femme organisée qu’elle était, tout était prêt à la naissance et même quelques jours avant.
Et que dire de ce couple qui n’a pas encore deux ans d’existence.
Lui a surement continué sa petite vie faite d’un travail épuisant devant des fourneaux chauffés à blanc, poussant de nombreuses gueulantes sur ses mitrons qui, décidément n’étaient bon à rien, comme on l’avait fait sur lui.
Quelques petites poulettes, chair fraîche et délurée qu’on s’offre pour presque rien et parfois gratuitement.
Elle, est à la maison. Elle astique, cuisine et écoute de temps en temps la radio. Peut-être aussi rêve-t-elle à autre chose, quelque chose d’insoupçonné mais qu’elle devine, la beauté, l’élégance, la finesse, la lecture, l’instruction, tout ce dont elle a été privée.
Mais à quoi bon rêver à des choses inaccessibles ? Le mieux n’est-il pas de se contenter de ce que l’on a et de retourner à ses casseroles ?
Quelques larmes ont dû mouiller parfois des joues lisses et roses, les mouchoirs ont séché les yeux humides et la vie a repris son cours immuable, sans joie ni peine mais aussi sans danger, seulement fait d’une monotonie qui endort les esprits rebelles.
Le 26 octobre de l’année 1938 approche à grands pas, dans le ventre bien rond, des petits coups de pieds annoncent l’arrivée prochaine de ce petit bout d’homme ou de femme qui viendra prendre sa place dans le giron familial préparé pour lui.
On ne sait pas encore comment il s’appellera. On a prévu quelques prénoms de l’époque qui font référence aux grands parents paternels et on espère de tout cœur qu’il ou elle sera en bonne santé.
Ce 26 Octobre 1938, la petite Jeannine, Simone (deuxième prénom de la maman, Andrée, (prénom du papa au féminin pour ne pas en faire un garçon manqué), a fait son entrée dans le monde.
Elle est née à Evron, à 8 heures, chez les grands-parents et elle sera scorpion, ascendant scorpion toute sa vie pour son plus grand plaisir et à la grande tristesse de son entourage car ces gens là, messieurs-dames, sont ingérables, ont un caractère pas possible, refusent de plier devant les ordres, n’en faisant qu’à leur tête mais pour l’instant, tout le monde semble heureux, surtout le papa qui la dévore des yeux.
Maman elle, selon sa bonne habitude, est beaucoup plus discrète, les émotions et débordement de tendresse n’étant pas son fort mais une chose est sure, la petite sera bien élevée et soignée, toujours très propre sur elle, emmaillotée dans des langes bien serrés, finissant son biberon jusqu’à la dernière goutte car dans cette famille là, on termine toujours ce que l’on a dans son assiette (même et surtout les poireaux)
Tout le monde est unanime pour dire qu’elle est très belle et jusqu’à l’âge de 7 ans on claironnera sur tous les toits qu’elle est très sage, qu’elle ne pleure jamais, un amour d’enfant quoi !
Il lui faudra pourtant attendre l’âge de 25 ans pour se débarrasser de ce cancan de rigidité fabriqué par une mère très sévère, un père absent pour la guider et une société dans laquelle les enfants n’ont pas le droit à la parole, mais quand elle se réveillera enfin, ses réactions seront, non seulement désordonnées mais aussi et surtout, terribles et par voie de conséquence, se retourneront contre elle, jusqu’à ce qu’elle comprenne.
Mais ne nous a-t-on pas donné toute une vie, pour comprendre le pourquoi du comment ? dédramatiser les situations difficiles à vivre ? en tirer les leçons qui permettent d’avancer ?
c’est ce qu’elle fera mais seulement vers l’âge de cinquante ans, quand les passions se seront éteintes, quand les messages auront porté leur fruit et elle saura alors qu’elle a remporté une victoire, que ses blessures se sont cicatrisées qu’elle peut avancer sereinement vers cette fin de vie afin d’y arriver calme et sereine.
On dit que les souvenirs d’un enfant apparaissent à partir de la troisième année, et si c’est vrai, c’est donc à cette époque qu’elle se souvient d’un soir ou la voisine est venue la garder car ses parents avaient dû s’absenter quelques heures.
Très déroutée et aussi très mécontente de ce changement dans ses habitudes, la gamine dirige sa colère vers la vieille femme qui ressemblait plus à une sorcière qu’à une mamie
-t’es laide, t’es méchante, je ne t’aime pas ! lui a-t-elle jeté à la figure pendant que la vieille mangeait sa patate précédemment posée sur le poêle à charbon qui réchauffait la pièce.
On est en 1941, la guerre bat son plein mais comme papa est cuisinier, il ramène à la maison beurre et viande délicatement « empruntés » à son patron et maman, toujours aussi besogneuse, sait en faire des merveilles qui durent suffisamment longtemps pour attendre la prochaine livraison.
On a toutefois remarqué que la petite ne marchait pas comme il se doit, elle claudique, elle tangue du côté gauche ; faut-il s’en inquiéter ?
Le premier docteur consulté est un vieux monsieur à monocle et après avoir tripatouillé la gamine ici et là a décrété qu’elle n’avait rien mais que comme elle était assez potelée, sa boiterie venait d’un petit excédant de poids.
Il ne serait pas venu à l’esprit de Suzanne de mettre en doute un diagnostic émanant d’un homme appartenant à la classe supérieure et c’est le cœur léger qu’elle rentre à la maison avec sa fille.
Toutefois et pour une raison inexplicable, maman va vouloir garder une belle photo de sa petite fille car sait-on ce qui peut arriver ?
Jeannine à trois ans et elle va rentrer à l’hôpital. La boiterie continuant et même s’accentuant, un autre médecin à été consulté. Il est jeune et avant de dire quoi que ce soit, il demande une radio des hanches et le résultat tombe :
Luxation congénitale bilatérale.
Même si Suzanne n’a pas compris grand chose, ces trois mots parlent d’eux mêmes :
La luxation est un déboîtement – congénitale veut dire : héréditaire – bilatérale c’est-à-dire, des deux côtés.
C’est alors que la jeune maman se souvient que sa petite sœur Marcelle boitait elle aussi donc…….le problème viendrait-il d’elle ? serait-elle coupable ?
Le médecin s’est voulu rassurant et à expliqué que le problème avait été accentué par les langes qui rapprochaient les deux pieds, la nuit, pendant de nombreuses heures mais qu’en mettant l’enfant dans un pantalon de plâtre en écartant au maximum les deux jambes, pendant un certain temps, la tête du fémur devrait se remettre progressivement dans l’articulation du bassin.
Ce qu’il a oublié de préciser, c’est qu’une partie du bassin manquait et que ça, ça ne repousse pas mais nécessitera, plus tard, une greffe que l’on appelle : une « butée »
La clinique se trouve loin de la maison et il a fallu prendre le petit train ceinture de la porte d’Auteuil.
Jeannine ne se rappelle pas de son arrivée mais par contre, elle revoit très bien la salle d’opération sur laquelle on l’a mise toute nue. De chaque côté des femmes à blouse blanche qui essaient de lui mettre sur la figure un masque à éther pour l’endormir. La petite se débat et tourne la tête de chaque côté pour éviter cet appareil de torture mais à un moment, les femmes en blanc ont gagné, et….. elle s’endort.
Quand elle se réveille, elle est dans un immense lit dans lequel se trouve un énorme ventilateur qui a pour mission de sécher le plâtre et maman est assise sur une chaise à côté d’elle.
Elle a des nausées, elle vomit, elle a peur et maman lui dit de se calmer.
De retour à la maison, la gamine continue à mener sa petite vie comme si de rien n’était. Bien sûr elle vit couchée et elle passe ses journées à chanter et à parler à ses poupées.
Les soins vont durer 16 mois, 4 fois quatre mois avec des positions différentes, des jambes qui seront tour à tour, allongées écartées, allongées pliées, allongées écartées et allongées droites.
C’est toujours la guerre mais cette famille ne semble pas en souffrir sauf qu’elle se souvient que quand on entend les sirènes, on descend dans la cave où on retrouve des voisins qu’on ne connait pas et on attend que cela passe. Pour Jeannine, c’est un dérivatif car elle quitte pour quelques temps son lit et quand on remonte de la cave, les adultes soufflent de soulagement et la petite aurait bien voulu que ce petit voyage dure un peu plus longtemps car, somme toute, c’était plutôt amusant tous ces gens qui parlent alors que chez elle c’est le silence monacal.
Papa à un ami, Gaston, il est pâtissier, son épouse Andrée est couturière et ils ont un fils Max à peu près de l’âge de Jeannine. Ils habitent à Eaubonne et de temps en temps, maman fait le voyage jusque là pour que sa fille respire le bon air de la campagne.
Un jour, elle s’en souvient, elle se trouve dans le potager, couchée sur une couverture posée sur l’herbe et sa maman puise l’eau dans le puits à l’aide d’un seau.
Maman s’est penchée et la petite à crû qu’elle tombait dans le trou. Cette grande peur l’a renversée en arrière et le petit seau de sable avec lequel elle s’amusait a déversé son contenu dans le pantalon de plâtre.
Pour retirer ce corps étranger qui grattait très fort, il a fallu la prendre par les pieds et la secouer comme un prunier afin de le faire tomber ; maman criait très fort après cette petite gourde qui décidément ne faisait que des bêtises.
Mais à part cela, tout va bien et la vie continue.
Mais dans cette petite vie, assez terne, il faut bien le reconnaître, il y a un autre voyage, un grand cette fois. La famille part en toute hâte à Evron chez les grands-parents car papa a appris qu’il était sur une liste des français réquisitionnés pour partir travailler en Allemagne et le seul moyen d’éviter ce départ est qu’on ne le trouve pas chez lui quand on viendra lui faire part de son « affectation »
Ils sont là sur le quai de la gare, le train est à quai et les voyageurs, très nombreux, grimpent dedans avec paquets, baluchons et valises. Voyager avec des enfants c’est déjà assez compliqué, mais quand le petit a un pantalon de plâtre, jambes écartées, il prend une place plus qu’importante et il n’est pas facile de grimper dans ce train avec, sur le dos, une gamine dont le corps est plus large que l’ouverture qui conduit aux compartiments
Un monsieur aide, il pousse, il tire ; la petite, sur ordre de son père, s’accroche au cou de l’étranger et c’est alors que le train commence à démarrer laissant ses parents sur le quai.
Mon D-ieu qu’elle a eu peur de ne jamais les revoir, pourtant, elle les a retrouvés ou c’est plutôt c’est eux qui l’on cherchée et retrouvée dans les WC du wagon avec d’autres enfants qui, momentanément, avaient perdus leurs géniteurs.
A Evron, elle est la reine, d’abord parce qu’on ne la voit pas souvent, ensuite parce qu’elle est jolie, et enfin elle est handicapée alors toutes les attentions sont pour elle et il est possible que les cousins aient été un peu jaloux de ce traitement particulier auquel ils n’avaient jamais droit.
On doit être en 1943, et c’est à ce moment là que Blanche entre dans l’histoire.
Papa a 2 frères et une sœur. Il y a d’abord Roger, l’ainé, caractère de cochon qui n’en fait qu’a sa tête et qui a épousé Blanche que les beaux parents n’aiment pas.
C’est une grande femme, un peu dolente et même si elle ne dit pas grand chose, elle ne semble pas manifester le respect qu’elle doit à ses beaux parents.
Elle a fait 6 gosses la Blanche et sa santé en a pâti, elle tousse beaucoup et doit s’aliter quand la tête lui tourne.
En 1943, elle habitait à Nantes, ville qui subissait la guerre de plein fouet. Roger son mari où était-il ? celle qui raconte n’en sait rien mais elle a entendu dire qu’a un moment de son parcours, il avait fait du marché noir et plus tard, de la prison.
Est-ce la raison pour laquelle Blanche et sa marmaille sont arrivées un jour chez le grand père qui a bien été obligé de les accueillir ?
La petite n’a qu’un souvenir vague de ses cousins la, elle se souvient seulement de deux choses : un des enfants de Blanche tue un lapin en le projetant de toutes ses forces sur un mur pour l’estourbir. La, elle a eu peur la petiote.
Et puis à un autre moment, Blanche quitte la famille avec ses gosses en file indienne derrière elle, chacun un petit baluchon sur l’épaule.
Elle n’apprendra que bien plus tard l’histoire sordide qui a mis une femme et ses 6 ans, tout petits sur la route de l’exode et tout ceci, avec la bénédiction du patriarche.
Paul lui est le second, mince et myope il sera menuisier et il épousera Marie Thérèse une fille de la région. Ils auront 3 enfants, deux fils et une fille qui, plus tard, se détourneront de leur mère ce qui, avec le reste, la conduira à boire puis, au suicide.
Suzanne a toujours bien apprécié ce frère de son mari qui, de plus, est très croyant donc, il ne peut qu’être un bien bel homme (au sens noble du terme bien sûr) à moins que…..
La troisième est une fille Paulette, ressemblant trait pour trait à sa mère, petite et grosse. Juste avant la guerre elle s’est fiancée à un jeune homme qui hélas mourra dans un camp.
A la fin de la guerre, c’est un compagnon de ce disparu qui viendra annoncer la nouvelle et racontera les derniers instants de son ami de captivité et c’est avec lui que Paulette fera sa vie.
Les Allemands se sont bien installés dans la région dont ils occupent la mairie, la gare et tous les bâtiments officiels.
Comme il n’y a aucun danger pour l’instant, ils sont débonnaires et viennent souvent se restaurer chez le grand-père. Il y a eu par exemple ce gros allemand qui, apercevant Jeannine, s’agenouille pour lui parler et surement lui dire de gentilles choses peut être avait-il lui-même des petiots dont il était séparé ?
L’enfant n’est pas vraiment timide et elle trouve bien gentil ce monsieur au gros ventre. Elle va toutefois jeter un œil sur maman qui n’est pas loin, et quand elle voit la panique muette qui s’est emparée d’elle, elle pousse un hurlement de terreur et se précipite dans les jupes de celle-ci.
Jamais elle n’oubliera cette scène pourtant fugace et c’est là qu’elle comprendra qu’on peut transmettre la peur à distance. Pourtant elle n’a pas cinq ans.
Début 1945, la libération de la France est proche, les Allemands sont fébriles, les sirènes sifflent de toutes parts et très souvent Pépé, Mémé, Papa , Maman ainsi que les clients de l’hôtel sont tous réunis dans la grande salle à manger, couchés sur des matelas à même le sol en attendant que ça passe. Toutes les fenêtres sont ouvertes pour éviter les éclats de verre dont certains peuvent être mortels.
Autour de lui, Grand père a installé tous ses trésors, ses objets de valeur, sa batterie de cuisine et son argenterie.
Quand on doit, pour un besoin pressant, quitter la salle à manger, on circule à genoux et Jeannine a envie de pouffer de rire quand elle voit ses grands- parents, ainsi que les clients se déplacer à quatre pattes mais un regard sévère de maman arrête son fou-rire.
A certains moments, quand la situation est plus calme, la gamine va à l’école et c’est là qu’elle apprend à lire et à écrire.
Au fait, maintenant qu’elle n’a plus de plâtre, elle marche comme tout le monde ou presque mais beaucoup d’interdictions sont venues gâcher son avenir : interdit de courir, d’être longtemps en position debout, de faire du sport, sauf piscine et vélo et plus tard : interdit de porter des talons, de danser, de faire les magasins, d’attendre trop longtemps l’autobus etc……
Mais pour l’instant, toute heureuse d’être libérée de son carcan, elle va et vient et sautille.
Enfin, les bonnes nouvelles arrivent, Evron est libéré. Les américains ne sont qu’à quelques kilomètres et bombardent la ville et ses environs. Il n’en faut pas plus pour que ceux qui n’avaient pas fait grand-chose pour sauver le pays, s’offre un petit quart d’heure de courage quand il n’y a plus de danger, ou presque.
André et un copain partent en direction de la gare afin d’en ramener si possible quelque chose de dérobé aux boches, qui, eux-mêmes l’avait dérobé aux bons français, comme par exemple un vélo, ce qu’ils font, seulement voila qu’à peine leur forfait accompli, des allemands apparaissent et tentent de les arrêter.
Le copain et André lâchent leur prise et se mettent à courir de toute leur force, se séparant à un moment de leur course.
L’ami rentre dans une maison, il est rattrapé par ses poursuivants qui l’abattent de plusieurs balles dans le corps.
André lui, continue à courir, il saute un mur très haut, se perd dans les broussailles et fini par arriver à l’hôtel du père tout essoufflé et blême.
Cette histoire sera racontée bien plus tard et il est à peu près sûr que certains détails seront retirés et d’autres enjolivés pour que l’honneur soit sauf.
1945, La ville est entièrement libérée, les américains sont partis non sans avoir avant nettoyé les poches de résistance allemandes mais des allemands qui n’avaient pas pu s’enfuir ont été attrapés ça et là par les habitants qui les ont découverts.
L’un d’eux, un simple troufion, d’après son uniforme et son képi ,est devant l’hôtel, entouré d’une foule de badauds qui rient, insultent et menacent ; à côté de lui, une charrette non attelée et près d’elle, un énorme tas de pierres de toutes dimensions. Le prisonnier à ordre de remplir la charrette mais celle -ci s’incline dès que le chargement est important et la plupart des pierres retombent à l’extérieur.
Nouveaux rires, insultes, menaces et l’homme doit recommencer et recommencer encore.
Lorsque la petite arrive et qu’elle découvre la scène, elle comprend que cela doit faire un moment que le prisonnier est occupé à cette tâche idiote car ses mains sont couvertes de sang.et elle a mal pour cet homme qui est seul et complètement impuissant devant cette foule qui hurle, crie et rit.
Du haut de ses presque 7 ans, elle ne comprend pas comment des gens peuvent se moquer d’un homme qui ne peut se défendre, d’un type lambda qui exécutait les ordres.
Elle ne sait pas ce qui est arrivé après, sa mère est-elle venue la chercher? Est-elle rentrée à l’hôtel ne voulant plus voir ce spectacle? toujours est-il que cette image lui est restée gravée dans l’esprit pour toute la vie et c’est grâce à elle et surement a bien d’autres situations, qu’elle se forgera les principes qui sont les siens et qui l’accompagneront tout au long de sa vie à savoir:
1) si un combat doit avoir lieu, qu’il soit fait « à la loyale » c’est-à-dire « un » contre « un »
2) si un homme a mal agi, il doit être puni mais pas par la foule et il est inutile d’y ajouter l ’humiliation qui ne peut que salir et abaisser ceux qui la pratiquent.
3) lorsqu’arrive le moment de la victoire, ceux qui dans les rues parlent fort, rient et se moquent devraient se demander s’ils en ont vraiment le droit et pour le savoir, ils n’ont qu’à retourner dans leur passé récent et se rappeler où ils étaient et se qu’ils ont fait lorsqu’il y avait du danger : faisaient-ils partie de ceux qui ont risqué leur vie pour en sauver d’autres? Ou, au contraire, se terraient-ils n’entendant rien, ne voyant rien pour essayer de sauver leur peau ?
Souvent, ceux qui parlent fort font partie de la deuxième catégorie.
Un peu plus tard elle connaîtra aussi l’histoire de Blanche et de son renvoi :
« Comme déjà dit, Blanche n’est pas aimée dans la famille, Le grand-père d’abord qui ne manque pas une occasion de la rabrouer mais André, pour une fois, est d’accord avec son père.
Un jour, une altercation entre les deux adultes éclate. André accuse les enfants de Blanche d’avoir fait caca dans la pièce où se tient Jeannine. Blanche défend ses petits de toutes ses forces, le ton monte, elle gifle André, l’insulte est impardonnable.
Le grand-père intervient et règle le problème à sa façon, l’infâme belle-fille est chassée de la maison avec sa marmaille .
Que ceci ait lieu en pleine guerre ne gêne personne, le patriarche a parlé et on doit l’écouter d’ailleurs Suzanne n’a rien dit non plus devant tant de cruauté ».
Jeannine n’a rien su à ce moment là mais quand plus tard elle l’apprendra et comprendra l’horreur de la situation elle ne sera pas aussi fière que cela d’appartenir à une famille qui s’acharne sur les plus faibles.
C’est alors qu’elle découvrira aussi, beaucoup plus tard, que papa est bien gentil avec les gens quand tout va bien mais qu’il peut faire beaucoup de mal quand on lui a déplu, et ce, par le moyen le plus sordide : des lettres ou encore dénonciations anonymes.
A-t-il eu ce genre d’attitude pendant la guerre ? elle ne le saura jamais.
Une autre pierre qui viendra, en son temps, s’ajouter aux autres qui forgeront son caractère pour en faire une révoltée. Mais aussi ce qu’elle détestera le plus ce sont les mensonges et tout ce qui ressemble à de l’hypocrisie et cela ne la quittera jamais.
De retour à Paris, tout semble rentrer dans l’ordre. Quand elle n’est pas à l’école, elle joue à la poupée. Ses bébés sont dans un landau qu’elle pousse tout autour de la table mais dans sa tête, c’est la guerre, elle est sur les routes essayant de protéger ses petits et comme pratiquement personne ne lui parle, son imagination déjà débordante, lui sert de conseillère, inventant des scènes dramatiques dont elle sort vainqueur.
Dans la voiture, elle a mis, outre ses enfants, tout ce dont elle aura besoin pour bien s’occuper d’eux et faire face à tous les problèmes qu’elle pourrait rencontrer. C’est pourquoi on trouve à l’intérieur : des épingles à nourrice, un ouvre boite, un dé, des ciseaux, des aiguilles et du fil et toute sorte de boites de conserves imaginaires.
Quand elle sera adulte et que par hasard ses collègues de bureau verront ce qu’il y a dans son sac à main, elles s’étonneront de son contenu car on retrouve là, les mêmes objets que ceux de son exode.(épingles à nourrice, ouvre-boite etc….)
Ces voyages ont duré des heures autour de cette table que maman venait interrompre soit pour faire les devoirs ou encore pour aider.
Ah ces leçons et ces devoirs ! tous les jours à la même heure et pendant si longtemps !
Les tables de multiplication, les départements avec préfecture et sous-préfecture, les poésies, l’histoire, les règles de grammaire, surtout que maman est intransigeante d’autant plus qu’ignorant la plupart des réponses, elle n’a aucune souplesse pour apprendre à sa fille ce qu’elle-même ne sait pas.
Il faut la comprendre, elle aurait tant aimé savoir et étudier, il ne faut pas que sa fille soit une ignorante.
le seule malheur, c’est que maman à choisi la plus mauvaise méthode pour cela, au lieu d’aider, de complimenter, d’être patiente, elle donne 50 centimes par départements su, et une claque pour ceux qui ne le sont pas et comme la gamine n’a jamais eu assez d’argent pour s’acheter des bonbons, il n’est pas difficile de comprendre que les gifles étaient nombreuses et les piécettes ne l’étaient pas.
Bien sûr, quand elle arrivait à l’école et que c’était son tour de répondre, elle ne savait pas quoi dire car apprendre « par cœur » n’est pas une bonne solution. La leçon est sue mais dans sa globalité donc, si on pose une question par hasard, la réponse ne vient pas. Moralité : elle n’avait pas fait ses devoirs.
Maman avait l’habitude d’aller voir la maitresse une fois par mois et pendant son absence, Jeannine commençait à avoir mal au ventre puis quand elle entendait la clé dans la serrure elle savait que son heure était arrivée :
-« tu es une petite paresseuse criait maman, tu ne fais rien en classe, tu n’écoutes pas, tu es dissipée, pourtant, ton institutrice dit que tu es intelligente. Mais qu’est ce que je dois faire pour que rentre dans ta caboche les leçons que tu dois apprendre ? Tu es punie pendant huit jours, je vais te dresser moi »
et c’est là que la claque arrivait, une claque bien sonnante, un aller et retour. A l’aller, ça allait encore mais au retour, maman frappait avec l’extérieur de la main, là où se trouvait la chevalière et quand celle-ci rencontrait la joue, cela faisait bien mal.
Un jour, elle ne sait ni comment ni pourquoi, un réflexe surement, l’enfant s’est baissée et la main a changé de trajectoire et est venue achever son périple sur le buffet Henri III.
La mère a eu mal, elle a saigné mais devant se soigner, le martyr de la gamine s’est arrêté là, (pour cette fois).
Quant à elle, elle se souviendra toujours de ses tables de multiplication et n’aura jamais besoin d’une calculette, des départements un peu moins mais quand même assez pour ne pas mettre Lille à côté de Marseille, les trains qui se croisent et les robinets qui fuient seront de vagues souvenirs mais ce qui lui restera surtout c’est, quand elle ne sera plus obligée d’apprendre, l’envie de savoir toujours plus et dans tous les domaines.
1946 , elle va sur ses 8 ans. Elle se souvient de deux maîtresses : Madame Bacon et Madame Forget.
C’est l’époque des « chouchoutes », les gamines assises près du tableau et qui apportent le lundi, qui des chocolats, qui des fleurs.
La maitresse leur sourit et caresse leurs joues, les petites sont ravies et les autres voudraient bien être à leur place.
Jeannine elle, est tout au fond. Elle a crû longtemps que c’était parce qu’elle était grande pour son âge et que, placée au milieu de la classe, elle gênerait la camarade qui se trouverait derrière elle.
Mais en réalité, les mauvaises élèves sont reléguées au fond de la pièce, au près du poêle et quand par hasard l’institutrice appelle l’une d’elles, il y a toujours un pied qui sort de la rangée pour faire trébucher celle qui passe.
Et puis, il y a les fameux bons points de différentes couleurs : rouge, bleu vert etc… avec sur chacun, une valeur différente.
Elle se rappelle avec étonnement qu’elle en a gagné quelques uns, aussitôt repris par une de ces dames quand elle faisait une bêtise et des bêtises, elle doit en faire des tonnes, même si elle ne s’en rappelle plus.
Par contre, elle se souvient très bien d’une phrase répétée de nombreuses fois : « baisse tes yeux insolente » car elle a l’audace de fixer la personne qui la réprimande dans les yeux alors qu’elle devrait regarder ses chaussures, ce qui prouverait qu’elle est soumise et regrette ce qu’elle a fait.
Des années plus tard, un patron qui lui fait des reproches lui lancera : « pourquoi ne regardez vous pas les gens en face quand on vous parle » ?
Preuve que les phrases assassines, répétées de nombreuses fois, font de effet mais aussi que les adultes ne savent pas ce qu’ils veulent car la question est : faut-il baisser les yeux ou pas ?
Quand elle sera une grande fille, débarrassée d’une grande partie de ses complexes, elle choisira alors de regarder les gens droit dans les yeux et ce sont eux qui, gênés, baisseront les leurs et elle détestera toujours au plus haut point, toute forme d’injustice même la plus petite.
C’est là que « Zezette » apparait dans le récit ; une très jolie chatte grise qui, parait- il, a pour mission d’attraper les souris qui ont fait leur apparition dans l’appartement mais que la gamine n’a jamais vues.
Combien de temps restera-t-elle parmi eux ? nul ne le sait mais pas assez pour que l’enfant apprenne à l’aimer. Un jour elle disparaitra comme elle est venue. On lui racontera alors qu’on lui a trouvé une très bonne maison avec un joli panier et l’affaire s’arrêtera là pour rebondir de nombreuses années plus tard…………….
Dans la cour du petit appartement, un individu a pris l’habitude de jeter du quatrième ou cinquième étage des chats qui selon les cas, atterrissent sans aucun mal, ou encore avec une ou des pattes cassées, ou pire, meurent sur le coup.(cela se passe en 1980 environ)
Suzanne est affolée non pas par la cruauté de ce taré qui fait du mal gratuitement aux animaux mais parce que les cris des bêtes blessées, les pattes cassées et les corps éventrés, cela fait désordre. Alors elle a parlé au concierge qui, à chaque fois que cela se produit, vient chercher l’animal mort ou vivant et….. en fait ce qu’il veut, elle ne veut pas le savoir.
On peut comprendre beaucoup de choses quand une enfance à été très malheureuse mais cela n’explique pas tout et surtout pas, l’indifférence totale envers les malheurs d’autrui bêtes ou gens. Suzanne a le cœur sec comme un coup de trique, elle n’a jamais été aimée mais elle n’a jamais aimé non plus .
Pendant la guerre aussi, nombreux étaient les gens qui ont détourné le regard quand on venait chercher leurs voisins pour les déporter.
Comment cela s’appelle-t-il ? ne rien entendre, ne rien voir, ne rien dire et c’est loin d’être joli.
Jeannine a toujours pensé que les enfants privés d’amour deviendront deux sortes d’adultes : les premiers déborderont d’amour sachant trop bien comme on souffre de ne pas en recevoir et les seconds ne sauront ni aimer ni se faire aimer ,rejetant tout signe de tendresse parce qu’ils ne l’ont jamais connue.
Est-ce que cette règle est immuable ?
Un jour, maman lui a donné une motte de beurre que papa avait apportée afin de la remettre à sa maitresse.
Elle était bien heureuse la petite car elle allait surement recevoir et un sourire et une caresse, mais rien de tout cela n’est arrivé et elle est restée au fond de la classe.
Mais il c’est quand même passé quelque chose de surprenant.
Chaque fin de mois, l’institutrice remet aux élèves un livret avec les notes dans toutes les matières, le classement, et les réflexions devant chaque matière.
Jeannine connait par cœur les mentions disséminées ça et là : « peut mieux faire, n’a pas appris sa leçon, dissipée, intelligente mais très paresseuse », suivi de la place : en général 26ème sur trente et les bons mois : 25ème.
Et là, surprise ! elle est 10ème. Elle regarde son carnet de notes, les mauvais textes ont disparu et à la rubrique application elle se paye un 9 sur 10, conduite : elle a dépassé le 7 ; pour les autres notes, c’est presque comme d’habitude.
Cette pauvre gamine n’est pas habituée à réfléchir intelligemment car personne ne la guide comme personne ne répond jamais à ses questions ce qui fait qu’à force, elle n’en pose plus mais elle comprend quand même, malgré sa crétinerie, que la motte de beurre lui a valu des points qu’elle n’aurait jamais eus sans elle.
Elle n’en parlera à personne bien sûr Mais quand quelque temps après sa mère lui donnera un bouquet de fleur à porter à sa maîtresse, pour la première fois, elle sent une colère énorme monter dans sa tête et impensable pourtant, elle refuse de le prendre menaçant sa mère de le jeter dans le caniveau si elle insiste.
Jamais elle ne comprendra comment elle a eu le courage, (le toupet) de refuser ouvertement d’obéir à un adulte qui, de plus ,sait si bien claquer et punir.
Maman a ouvert la bouche, l’a refermée plusieurs fois, comme un poisson qui manque d’air, les yeux exorbités, se demandant comment sa fille avait pu refuser de lui obéir
Elle ne recommencera pas avant longtemps, mais cette réaction sera la première petite pierre qui, suivie de beaucoup d’autres, durant des années, provoquera des accès de colère qui feront peur à beaucoup.
Sans cesse accusée de tous les maux, il est difficile de comprendre que le seul moyen de se sortir de tous ces dilemmes c’est d’avoir son jugement propre et de s’y tenir mais pour cela, faut il être capable de penser et ça ! elle mettra du temps avant de savoir le faire.
Peu après, elle a mis une belle robe qui a été confectionnée pour le mariage d’un ami de papa puisqu’elle est demoiselle d’honneur.
Elle aura bientôt 8 ans.
Quand on a la chance de se rappeler de son enfance, au fur et à mesure que l’on écrit, les souvenirs remontent.
Chez Jeannine, la plupart sont assez tristes puisqu’ils font souvent référence à un manque de câlins, au vide autour d’elle ou encore à des punitions mais cette gamine là avait la grande chance de pouvoir transformer la tristesse en joie et l’absence d’amour en débordement de caresses.
Pour l’aider, elle possédait un trésor : son « Cani » Il s’agissait d’un lainage, peut-être le dos d’un vieux pull- over en laine , qu’elle traînait partout et qu’elle se passait sur la lèvre supérieure, sous le nez, et qui lui procurait une impression de douceur infinie Bien sûr, elle dormait aussi avec car maman, dans sa grande sévérité, ne semblait pas avoir pensé à le lui retirer quand elle avait fait des bêtises.
Le « cani »semble voir été pour elle, un remède contre l’angoisse ou le stress qui l’habitait comme pourrait le faire, le fait de sucer son pouce pour un autre enfant.
Elle avait ensuite une autre « baguette magique » inconnue de tous sauf d’elle-même. Quand maman était fâchée, la plus grande punition, d’après elle, était d’envoyer sa fille se coucher plus tôt que d’habitude.
Seule dans sa chambre, dans le noir et avec « Cani » bien sûr, elle fermait les yeux et rêvait qu’elle avait de la famille un peu partout dans le monde et qu’elle recevait de nombreuses cartes postales l’invitant, pour Pâques, pour Noël ou pour les grandes vacances et au fur et à mesure qu’elle apprenait la géographie, les cousins, oncles et tantes, affluaient de partout.
C’est ainsi que pendant longtemps, elle a parcouru (en train) les cinq continents. Quand elle arrivait à destination, cette partie de famille qui l’avait invitée l’attendait sur le quai de la gare et c’est là qu’elle pouvait découvrir leur visage, noirs, jaunes basanés et tous disaient : « enfin ! te voila » puis, elle s’endormait jusqu’au rêve du lendemain.
A chaque fois, son rêve s’arrêtait là, sur cette dernière image, être enfin aimée, désirée et attendue.
C’est peut-être pour cette raison qu’elle n’a jamais pu être raciste, tel qu’on défini ce mot car tous ces gens qui l’ont aimée, invitée, et choyée venaient de partout et avaient des faciès très différents les uns des autres ; par contre, elle sera aussi capable de ne pas aimer certaines sortes de personnes lorsque celles-ci voudront lui imposer leur mode de vie, leur façon de penser, sans respecter le pays dans lequel ils se trouvent.
Cette réaction n’aura rien à voir avec le « racisme » c’est une réaction provoquée par le manque de respect, le culot de certains qui se croient tout permis, le fait d’imposer aux autres un mode de vie qui n’a rien à voir avec les valeurs et les traditions dans lesquelles elle a été élevées et auxquelles elle croit.
Non ! elle ne fera jamais partie des « bisounours » ou encore des humanistes à quatre sous, qui trouvent que « tout le monde il est beau tout le monde il est gentil » se donnant bonne conscience uniquement avec des mots et elle ne cachera jamais son aversion pour ceux qui déclenchent chez elle ce genre de sentiments.
Et c’est alors qu’arrive l’histoire du « marc de café » :
Maman apprend à sa fille les tâches ménagères et ce jour là elle doit venir essuyer la vaisselle.
Pour se faire, elle attrape le torchon qui est accroché à un mur et pour montrer sa bonne volonté, elle « astique » plus qu’elle n’essuie verres et assiettes et le torchon volète dans les airs.
Ce qu’elle n’a pas vu, la pauvrette, c’est qu’un coin du dit torchon a trempé dans le marc de café que maman préparait et avec l’entrain qu’elle met à tout bien essuyer, il y en a partout : sur les murs, sur le sol, etc..
Quand maman voit cela, elle se met à crier très fort et commence à essuyer partout ou le marc de café s ’est faufilé , y compris entre un mur et la gazinière et comme là, se trouve aussi la planche à découper la viande, maman s’enfonce une grosses écharde dans un doigt.
-« va me chercher ma boite à ouvrage » hurle-t-elle à la gamine complètement affolée et qui s’exécute mais voilà que quand maman veut ouvrir la boite pour y prendre une épingle afin de retirer l’écharde, elle attrape le couvercle à l’envers et celui-ci lui reste dans les mains, se détachant du corps de la boite.
Le couvercle finira sa carrière sur la tête de la petite fille, heureusement il était en carton donc, pas de fracture du crâne.
C’est à ce moment là que maman va aller travailler à l’extérieur car ce que papa lui donne ne suffit plus.
Elle a trouvé une place de bonne dans la famille qui est propriétaire de l’immeuble dans lequel comme maman, elle habite. Il s’agit de nobles Mr et Mme de M……..
Elle y sera employée pendant des années et c’est surement le meilleur moment de sa vie car elle est tombée chez des gens cultivés, qui vivent dans des meubles de style, de la vaisselle en porcelaine et des verres en cristal. Les deux filles vouvoient leurs parents et font une petite génuflexion lorsqu’elles disent bonjour (les yeux baissés bien entendu)
Suzanne n’aurait jamais dû avoir l’enfance qu’elle a connue, elle était faite pour l’élégance, la finesse, la culture tout ce qu’elle n’a pas eu et qu’elle dévore des yeux.
Madame de M. a très vite compris que Suzanne est une perle rare qui méritait mieux et elle va, comme elle le peut, l’aider à s’élever intellectuellement en lui prêtant des livres et comme là où elle travaille, la maman de Jeannine entend de la musique classique, elle abandonnera, très vite ,son intérêt pour le musette et les flonflons.(le choix dépend souvent de la comparaison , or pour choisir, il faut connaître)
Le seul problème c’est que cela va creuser encore un peu plus le fossé entre André et son épouse car lui est resté le bon gros, qui rit aux blagues osées et se décrotte le nez avec délectation (avant de préparer les sauces, cela va de soi).
Le couple n’avait plus grand-chose en commun avant cela mais là, la séparation est totale tout en continuant à vivre sous le même toit.
C’est aussi à ce moment là que maman s’enfermera dans sa minuscule cuisine la plupart du temps, pour y écouter « sa » musique quand elle n’est pas obligée d’en sortir pour s’occuper de sa fille ou encore servir les repas.
Et c’est là aussi qu’elle se rapprochera de la religion et de Monsieur le curé, se confessant souvent et ravaudant ses soutanes. ………….
Ce jour là, Jeannine est prise d’une grosse envie alors que la classe est sur le point de se terminer et lorsqu’elle demande à sortir, la réponse de la maitresse est « non ! »
-Mais Madame, !
Il n’y a pas de : mais Madame et si tu insistes je te punis et te donne à copier 50 fois la phrase : « je suis une insolente et je réponds à ma maitresse » que tu feras signer par tes parents et que tu me ramèneras demain matin.
Aussi vite qu’elle le peut, dès que la cloche sonne, elle se précipite dehors et rentre chez elle en courant.
Arrivée devant la porte, elle sonne mais comme maman ne répond pas, elle se baisse pour prendre la clef qui doit se trouver sous le paillasson et là ! patatras ! tout part dans la culotte.
Quelle gêne ! quelle honte ! la petite ne comprend pas ce qui lui arrive et la seule chose qui lui reste à faire c’est de hurler comme si on l’égorgeait.
Madame Renoult, la concierge, se trouve justement dans les escaliers et elle se précipite, persuadée qu’un grand malheur est arrivé.
A l’odeur, elle comprend très vite de quoi il retourne et une fois dans la maison avec l’enfant, elle nettoie comme elle peut pour essayer d’effacer ce drame pendant que Jeannine pleure à chaudes larmes.
- Tu n’a pas honte ! faire de telles choses à tes parents ? des parents qui se saignent aux quatre veines pour toi, des parents qui n’ont pas hésité à braver les bombardements pour te soigner et te faire mettre un plâtre pendant la guerre ! c’est comme ça que tu les remercies ?
- Mais j’y suis pour rien moi si je suis née infirme !
- Petite impertinente qui ose répondre, quand on a des parents comme les tiens, c’est à genoux qu’on doit leur parler ; quand tes parents vont savoir ce que tu as fait, ils vont te donner la fessée que tu mérites.
Et la dessus, Madame Renoult s’en va, non sans traîner derrière elle une petite odeur de « brise d’anus de chez ça fouette »
Aucun souvenir de la punition annoncée, elle doit se confondre avec la précédente et la suivante mais au point où elle en est, la gamine ne compte plus et encaisse, sans cesser de se demander encore une fois, pourquoi les grandes personnes sont si méchantes ?
Quand on est cuisinier, responsable et des marmitons et des achats et des fournisseurs et des sauces, on travaille les dimanches et les jours de fête. Par contre on a un jour de congé par semaine et papa a choisi le jeudi, jour où sa fille n’a pas d’école.
Dans l’après midi, il l’emmène sur les boulevards, au cinéma et à la sortie, il lui paie une menthe à l’eau et lui s’offre une grande mousse bien fraîche ou encore un Ricard.
Une chose toutefois la surprend : quand ils sortent de la salle de cinéma, il arrive souvent qu’une dame (pas toujours la même) marche à côté lui. Ils ne se parlent pas, ne se tiennent pas par la main, mais elle est là et elle semble les suivre, par contre elle ne vient pas boire un coup avec eux.
Elle n’a jamais posé la question et puis elle a fini par oublier cet incident mais un jour que papa est à la maison et qu’elle vient s’asseoir sur ses genoux comme elle le fait souvent, il éclate en sanglots et la gamine à très mal de voir son père chéri dans cet état, maman elle, est descendue à la cave chercher du charbon.
Elle ne saura jamais l’origine de ce gros chagrin et cela fait partie des souvenirs qui ne remonteront à la surface que beaucoup plus tard.
A l’école, elle a des copines mais elle a une attirance pour l’une d’elle en particulier, très belle avec de longues nattes, un très beau visage et des pommettes saillantes.
Elle ne sait plus comment les choses sont arrivées mais un jour, elle est invitée chez la petite fille à déjeuner et on va lui servir des mets qu’elle ne connait pas et qu’elle trouve délicieux. La maman de son amie « Hélène » est très belle aussi et elle parle avec un accent indéfinissable mais que Jeannine aime beaucoup et que, pour un peu, elle reconnaitrait comme étant le même que celui de certaines de ses « cousines » imaginaires de Russie.
De retour à la maison, elle va garder secret ces quelques heures mais elle les racontera ce soir à ses cousines quand elle les retrouvera dans ses rêves.
Hélène lui trotte dans la tête et un jour, elle décide d’aller lui faire une petite visite en sortant de l’école mais quand elle rentre à la maison, l ’inquisition lui tombe sur le poil et lui demande des explications sur son retard alors, elle invente une histoire pas possible, maman n’y croit pas et le lendemain elle se rendra à l’école avec son cahier accroché dans le dos avec les cinquante lignes que ses parents lui ont fait écrire, car pour une fois, papa est dans le coup aussi : « je suis une fainéante et une menteuse ».
A cette honte s’ajoutera le poids du mensonge, bien plus lourd encore que le reste et elle se jurera qu’à l’avenir, elle ne racontera que la vérité en regardant les gens bien droit dans les yeux et tant pis si cela ne plait pas.
En juillet et Aout les de M…… partent en vacances dans leur château d’Assé le Béranger dans la Mayenne et ils emmènent bobonne et sa fille.
Jeannine est émerveillée par cette bâtisse immense, dans laquelle on se perd, une allée monumentale bordée d’arbres majestueux, un parc avec bassin, mais surtout un grenier dans lequel les filles nobles jouent avec elle. Elles ont trouvé une grande malle dans laquelle il y a des costumes anciens avec lesquels elles se déguisent, après quoi elles descendent, telles des châtelaines papotant de tout et de rien.
Des souvenirs merveilleux qu’elle aura bien du mal à oublier. Elle ne sera pas aussi marquée que sa mère par les beautés découvertes dans la noblesse mais il lui en restera quelque chose : le goût des belles choses, les bonnes manières et la musique classique.
A la rentrée, Suzanne inscrira sa fille au patronage religieux, dépendant de l’église d’Auteuil. Là, elle s’y plaira beaucoup car on y fait du théâtre, des petites pièces dans le courant de l’année et une grande pour les fêtes de noël à laquelle toutes les familles assistent.
Et là, miracle ! Jeannine est douée, on la remarque tout de suite, le ton est bon, elle retient bien son texte, ses gestes sont mesurés et justes et c’est pourquoi on lui confie le premier rôle d’une pièce dont elle se souviendra toute sa vie.
Le titre, elle l’a oubliée mais l’histoire va ouvrir dans sa petite tête, un brèche où s’engouffrera, quand le moment sera venu, la foi, la recherche et la croyance en une vie après la mort .
« Une femme vient de perdre son nouveau-né avant d’avoir pu le faire baptiser.
Elle arrive en pleurs devant l’église qui est fermée et s’adressant aux statues qui en décorent l’entrée, elle supplie les saints de faire revivre son enfant, le temps de lui donner les saints sacrements, après quoi, elle acceptera qu’il disparaisse à nouveau.
Les saints se concertent et accèdent à sa requête ,ouvrant en grand les portes de l’église dans laquelle déjà résonnent une merveilleuse musique au son de l’harmonium.
L’enfant revit, le temps d’être baptisé et quand la maman comprend qu’il va lui être repris, elle supplie les saints de le laisser vivre.
A nouveau, ils se concertent et avant d’accéder à sa demande ils lui demandent de regarder dans l’eau du bénitier la vie de son fils telle qu’elle sera.
Elle voit alors un enfant qui grandit, malade, chétif, puis plus grand, accusé à tort et puni, puis encore plus loin, finissant sa vie dans la décrépitude.
Alors dans un élan suprême d’amour absolu, elle laisse partir son petit, préférant souffrir plutôt que de lui imposer une telle vie de sacrifice.
Plus tard, beaucoup plus tard et après avoir, comme beaucoup, rejeté la religion selon le principe que : « si D-ieu existait il n’y aurait pas toute ces injustices » elle aura la chance d’être encore capable de se poser des questions qui lui ouvriront les portes de la quête du savoir spirituel qui ne la quittera jamais .
Suzanne est arrivée à convaincre André que leur fille devait aller dans une école religieuse car ses notes sont vraiment trop mauvaises et les réflexions dont elle fait l’objet de la part de ses maitresses peuvent faire penser qu’elle risque de « mal tourner »
Papa n’y voit pas d’inconvénient (il s’en fout complètement) même s’il a sur les curetons des idées bien arrêtées puisqu’ils les appellent les « corbeaux à bicyclettes »
Elle entre donc en 8ème chez Madame Maillard. Elle a 10 ans
C’est une femme énorme, des yeux globuleux et sous l’un d’eux une grosse tâche de vin qui descend jusqu’au menton.
Au bout de quelques mois, si les carnets de notes sont toujours aussi lamentables, les mentions ont toutefois changé, on ne parle plus d’enfant dévergondée, mais surtout d’une petite fille intelligente mais qui n’en fout pas une rame.
Il y a pourtant une matière qui lui plaît : l’instruction religieuse.
Il faut la comprendre, elle est tombée amoureuse de ce beau visage du Christ, ce jeune homme qui souffre tant et à qui on fait plein de misères. Comme elle voudrait l’aider à porter sa croix, à se relever quand il tombe et, dans la foulée, tuer Ponce Pilate et c’est pourquoi, lors d’examens sur le nouveau testament qui reviennent assez souvent, elle est très bien notée et va même, à plusieurs reprises, décrocher le prix d’excellence, ce qui remonte sa moyenne générale et la hausse dans le cœur et l’esprit des sœurs de Saint Vincent de Paul et de Melle Maillard.
Et lorsque son trop plein d’amour débordera pour Jésus, elle pensera même devenir religieuse mais la cornette des sœurs ne lui plaît pas vraiment et puis un peu plus tard, les garçons feront leur apparition dans ses fantasmes et ils éclipseront alors tout désir de prendre le voile
Conseillés dans ce sens, les parents ont accepté de donner à leur fille des cours particuliers pour remonter un peu le niveau et c’est son institutrice qui s’en charge.
Une fois par semaine, elle se retrouve après les cours dans la chambre de Mademoiselle qui sent un peu le moisi, beaucoup le renfermé et très beaucoup, une odeur indéfinissable, celle de la vieille fille.
Sachant depuis longtemps qu’on a fait d’elle une idiote, paresseuse et bouchée à l’émeri, cela ne l’aide pas à comprendre les cours prodigués car elle a un blocage qui l’en empêche.
Ce jour là, elle doit comprendre que le prix de vente moins le prix d’achat = le bénéfice, que le prix d’achat + le bénéfice = le prix de vente et que le bénéfice est égal au prix de vente – le prix d’achat. Comment voulez-vous qu’elle s’y retrouve dans toutes ces combinaisons possibles ? et quand plus tard on attaquera les fractions alors là, elle sera complètement larguée et Mademoiselle Maillard à beau la menacer de ses gros yeux et faire frémir son angiome, cela ne change rien, elle répond n’importe quoi et quand elle tombe juste, c’est par le plus grand des hasards qui ne se reproduit hélas pas très souvent.
Longtemps après elle a compris que Melle Maillard, aussi laide soit elle, essayait de transmettre aux enfants dont elle s’occupait une partie de son savoir et qu’elle le faisait avec beaucoup de dévouement.
Merci Mademoiselle Maillard.
Elle arrive toutefois en 7ème et c’est l’année où elle passe son certificat d’études et……….. l’obtient. Elle a 11 ans
En 6ème c’est la catastrophe, l’algèbre ne l’aime pas du tout et elle le lui rend bien. Donc à grand regret et conseillés par la direction de l’école religieuse, on l’a inscrit à un concours afin de savoir vers quel enseignement la diriger.
Ce genre d’examen regroupe des élèves venus de divers établissements. La sélection est drastique car seuls les meilleurs seront choisis et dirigés vers de bons établissements qui pourront les recevoir.
Des heures elle a planché sur les questions, persuadée qu’elle a tout faux.
Quand la sentence tombe quelques semaines plus tard, elle est reçue troisième sur un total de 123 participants.
Là, personne ne la connaissait ni n’avait eu vent de sa réputation, est ce pour cela qu’elle a été reçue ou bien son correcteur a-t-il voulu faire une sale blague à l’éducation nationale ?
Elle vient de faire sa première communion, elle a porté pendant quelques heures la jolie robe blanche prêtée par Madame de M…….Elle a eu une petite pensée pour Jésus qu’elle aime toujours mais à qui elle pense de moins en moins, pendant que Maman est très investie dans les raccommodages des soutanes.
Papa lui ne dit rien, il y a des domaines qu’il préfère ignorer, d’autant plus qu’étant communiste, il serait mal vu de penser, ne serait-ce qu’un instant, à Marie et à Joseph.
Elle n’a pas encore 13 ans et elle vient d’avoir ses règles. C’est un jeudi, elle traîne un peu au lit puisqu’il n’y a pas de classe ce jour là et quand elle se lève, catastrophe ! elle a sali et son lit et sa chemise de nuit. Comment cela se peut il qu’il y ait tant de traces du chocolat qu’elle a bu ce matin ? elle va encore prendre une rouste de toute beauté.
Quand maman voit cela, elle ne dira qu’une seule phrase qui est sensée tout expliquer :
-ah : c’est rien tu auras ça tous les mois. Elle lui donne une serviette hygiénique et une ceinture à laquelle on l’accroche et voilà comment on apprenait aux enfants, la vie et ses plaisirs.
Et c’est là que va rentrer dans le vocabulaire déjà fleuri de Suzanne, un nouveau mot qu’elle doit beaucoup aimer puisqu’elle le met à toutes les sauces : « petite vicieuse »
Comme elle ne sait pas ce que cela veut dire elle ne sait pas, même si elle le voulait, comment on se guérit d’une telle maladie et elle ne sait pas à qui demander une explication alors, comme d’habitude, elle va porter son nouveau titre sans fierté mais aussi sans honte.
Et c’est alors que chaque mois, un peu avant ou un peu après ses menstruations, elle va avoir des douleurs aux hanches. A ce moment là c’est difficile pour elle de marcher.
Au début on l’accuse bien sûr de « jouer la comédie » mais comme cela se reproduit à des dates assez précises, maman consulte un docteur qui lui explique qu’avec la venue de la puberté, des rhumatismes, appelés dans son cas arthrose, ont fait leur apparition et risquent non seulement de perdurer mais aussi de s’amplifier jusqu’à……
Et c’est ce qui va se produire ; tout d’abord chaque mois, quelques jours, cela devient chaque mois mais plus longtemps pour se terminer au bout d’environ 3 ou 4 ans par des douleurs de plus en plus fortes et de plus en plus longues et n’importe quand.
Cela se terminera à l’âge de 26 ans par quatre opérations des deux hanches, 21 mois d’hospitalisation et de rééducation, mais ça, c’est une autre histoire.
Mais pour l’instant, maman veille encore plus à la vertu de sa fille qu’elle a traitée bien des fois de « petite vicieuse » sans expliquer pourquoi et la gamine se sent coupable même si elle ne sait pas de quoi.
Et quand elle s’aperçoit qu’elle a trois poils sur le pubis, elle va se demander ce qui va encore lui arriver.
A l’école, elle en parle à ses copines qui ne la croient pas, alors elle va dans les WC, en arrache un qu’elle exhibe en guise de preuve. Ses amies lui font alors le plus grand des affronts en lui disant qu’il s’agit d’un cheveu.
Elle enrage d’avoir perdu aussi bêtement un de ses trophées car les copines elles, n’ont rien du tout.
Après avoir passé quelques mois dans une école d’état dont elle a oublié le nom et dont aussi elle a été retirée avant de s’en faire virer, elle a atterri à l’école Jeanne d’Arc, lycée privé qui prépare à divers métiers tels que sténo-dactylo et comptable.
Elle ne se souvient plus, ni de l’ambiance, ni des profs, ni des études proprement dites.
Elle va rester là deux ans et demi et étant considéré comme incapable de passer un examen débouchant sur un diplôme, elle va être placée comme apprentie dans une société de presse un journal d’informations économiques et financières ou elle sera, pendant un mois, assistante de la secrétaire de l’un des patrons, ensuite, le mois suivant, standardiste car c’est la période où la téléphoniste est partie en vacances puis le troisième mois, elle sera mutée aux archives.
Sauf la fin de cette période qui sera pour elle dramatique, elle a un souvenir très agréable de ce trimestre car elle se trouve pour la première fois parmi des adultes, qui parlent et qui se parlent, alors sortant de son mutisme, elle ose parfois poser des questions, soit sur un mot qu’elle n’a pas compris soit sur un sujet qui l’intéresse et là oh miracle, on lui répond, on lui explique et jamais ! jamais ! jamais ! on ne se moquera d’elle et de ses demandes. Il faut dire qu’elle n’a que 15 ans et demi et qu’elle est de loin la plus jeune.
Le premier mois, elle est la secrétaire de Sylvie Pignon collaboratrice du directeur commercial Monsieur Rivière, qui va lui apprendre comment on présente une lettre et aussi comment on accorde les participes passés. Cette femme est belle, de beaux cheveux roux foncés, coiffés en chignon tombant sur la nuque, et toujours très bien maquillée.
Pendant le second mois, il ne se passe rien de spécial, elle se trouve dans l’entrée avec le téléphone, elle voit passer beaucoup de gens, elle aime bien cela et le troisième mois, reléguée aux archives, elle travaille avec une femme assez vulgaire mais qui l’a prise sous son aile et ne lui fait aucune remontrance.
Et c’est alors que le drame arrive……………………
Monsieur Rivière habite dans le XVIè arrondissement et Jeannine aussi, d’ailleurs ils se sont croisés plusieurs fois soit en rentrant le soir, soit en partant au travail le matin en métro, lui en première classe, elle en seconde.
Dans l’immeuble de Monsieur Rivière, habite une ancienne camarade de classe du lycée Jeanne d’Arc, Mireille et la mère de Mireille, est très amie avec Madame Rivière.
Quand Mireille et Jeannine se retrouvent, elles discutent de tout et de rien mais Mireille lui pose de drôles de questions sur Sylvie et Monsieur Rivière, questions qu’elle ne comprend pas, où il est question d’adultère.
C’est à ce moment là qu’un jour, elle sort du bureau avec un collègue, elle fait quelques pas avec lui et afin de raccourcir le chemin qui va les conduire jusqu’à la station de métro, ils décident de traverser un square et c’est là que Jeannine voit Sylvie et Monsieur Rivière bras dessus bras dessous riant comme des fous.
Les deux amants l’ont vue et ils ont senti le danger car si Jeannine Parle à Mireille de cette rencontre, cette dernière le racontera surement à sa mère qui en parlera à Madame Rivière.
Difficile de savoir ce que Jeannine a compris, mari et femme, ça elle sait ce que c’est mais amant- maitresse sont des situations dont elle n’a jamais entendu parler et c’est pour cela que lorsque, quelques jours plus tard elle est appelée dans le bureau du Directeur administratif pour s’entendre dire que son « remplacement » est terminé, son monde va s’écrouler car elle sait très bien qu’il n’a jamais été question de trois mois mais pour elle, c’était « à vie »
Elle doit quitter immédiatement la place sans même avoir le droit de dire au revoir à ses collègues et elle est anéantie car, que va-t-elle raconter à la maison ? elle ne comprend rien.
Et elle ignorera pendant des années les raisons de son renvoi jusqu’au jour où, par hasard, elle rencontrera dans le métro une fille dont le visage ne lui est pas inconnu. Après quelques hésitations elles se souviennent où elles ont fait connaissance : dans le journal d’informations économiques et financières puis, son interlocutrice lui demande. :
-Est-ce que Sylvie Pineau a fini par te retrouver ?
- non pourquoi ?
- parce qu’à cause de toi sa liaison avec Rivière a été éventée et cela a fait un terrible scandale et tu as été accusée par elle d’avoir fomenté cette affaire et elle avait dit alors que si elle te retrouvait, elle te mettrait une raclée dont tu te souviendrais toute ta vie.
Et c’est là qu’elle fini par comprendre, alors qu’elle n’a rien fait ni rien dit à personne que la liaison a été découverte, que Mr Rivière et sa femme ont divorcé ainsi que Sylvie et son mari et que c’est elle qui en est accusée.
Cette histoire qu’elle n’oubliera jamais, lui apprendra qu’il peut arriver de se trouver dans des situations que l’on n’a pas cherchées, où on n’a rien fait et pourtant, être accusé de faits dont on n’est pas responsable, sans pouvoir s’en défendre.
(Ne rejette-t-on pas las fautes sur autrui à chaque fois que c’est possible ?)
C’est avec des événements comme celui-ci qu’elle va comprendre ce que c’est que la vie, les interférences, les malentendus, les accusations vraies ou fausses, les erreurs d’interprétation et petit à petit, elle comprendra aussi que même si on peut être un jour accusé et puni pour une chose que l’on n’a pas commise, la bonne conscience, est plus importante que l’opinion d’autrui. Elle n’a pas 16 ans
Même si elle est encore très jeune, son adolescence est en train de se terminer et elle va bientôt entrer de plain pied dans l’âge adulte alors qu’elle n’est encore qu’une petite fille mal dégrossie, manquant d’informations, mais ça, elle ne le sait pas.
Mais il est fort possible que la plupart des filles de cette époque étaient comme elle car rares étaient les parents qui expliquaient et préparaient les futures femmes à la vie d’épouse, de mère et de femme .
Pour leur défense, ces mêmes parents n’avaient pas, comme maintenant à leur disposition, émissions de radio ou télé, magazines, psy, etc…. et à eux non plus on n’avait rien expliqué.
C’est la deuxième guerre mondiale qui a créé le fossé entre les générations passées et la nouvelle génération qui pourrait être considérée comme une « génération sacrifiée » qui a agi, « sans mode d’emploi »
Jeannine a traversé les épreuves qui lui étaient destinées ou encore qu’elle a provoquées par son sale caractère, ses exaltations, ses colères, son tempérament de feu, bridé par une éducation plus que rigide et elle a payé très cher ses erreurs jusqu’au moment où elle a enfin compris qu’être responsable, c’est assumer ses fautes et en tirer les conséquences, au lieu de les rejeter sur les autres.
Un jour qu’elle se trouvait dans la rue, maudissant la terre entière de l’injustice dont elle venait de faire les frais, une petite voix lui a murmuré :
« mais dis donc toi, n’as-tu jamais un rôle à jouer dans ce qui t’arrive ? es tu sûre que seuls les autres sont responsables ?
et c’est en repensant à ce qui la rendait si révoltée qu’elle se rendit compte qu’en effet : « si elle avait dit » « si elle avait fait » « si elle s’était tu » les choses se seraient passées autrement.
Elle prit donc l’habitude, lorsqu’elle était confrontée à une situation nouvelle, de se demander ce qu’elle devait faire .
Elle n’était plus spectatrice, elle devenait actrice de sa vie. Bien sûr, cela lui a pris du temps à mettre en place ce mécanisme et à l’utiliser à chaque fois et non de temps en temps mais à partir de ce moment là, la machine à fait marche arrière, moins d’emportements, plus de réflexion et une ouverture sur la spiritualité dans laquelle elle a trouvé « sa » vérité .
Mais ce qui a mis un point final à sa quête d’absolu, c’est lorsqu’elle a arrêté d’accuser ses parents, de les considérer comme responsables de toutes ses souffrances.
Il lui a fallu arriver à l’âge de 70 ans pour être capable d’accepter cet état de fait. Elle ne peut pas dire qu’elle les aime mais elle les comprend et espère que là où ils sont, ils ont trouvé la paix.
Un jour et alors qu’il n’était question que de la fête des mères qui approchait, elle a senti un besoin énorme de parler à la sienne qui était décédée depuis des années et, tout naturellement, elle lui a écrit un poème qui disait tout ce qu’elle ressentait au même moment et qu’elle aurait tant voulu lui dire :
Pourquoi Maman ?
Dans ta tenue bien propre je te revois,
Lèvres pincées, regard dirigé vers moi,
Et j’attends la claque qui va tomber
Pour une faute commise, laquelle ? je ne sais pas.
Pourquoi maman ne m’as tu pas parlé ?
Pour fuir ce monde dans lequel je suis née,
Des rêves à la pelle je me suis inventés,
Rêves tous plus beaux les uns que les autres,
Mais qui me tenaient loin de la réalité.
Pourquoi maman ne m’as tu pas expliqué ?
Lorsque plus tard j’ai fait mes premiers pas,
Dans la vie d’adulte que je ne connaissais pas,
Toutes les erreurs possibles je les ai commises,
N’ayant aucune idée des choses permises.
Pourquoi Maman n’étais tu pas à mes côtés ?
J’ai eu moi aussi deux beaux enfants,
Deux fils a qui je voulais tout donner,
Tout ce que je n’avais pas eu,
Tout ce qui me manquait.
Pourquoi Maman n’ai-je pas réussi ?
C’est peut-être pour cela qu’alors j’ai compris,
Qu’être mère est une très lourde charge,
Qu’on mêne rarement à bien quel que soit notre âge,
Et que ce savoir n’est jamais acquis.
Depuis longtemps déjà tu es partie,
Et comme nous n’avons jamais pu nous parler,
Toutes ces choses je ne te les ai pas dites,
Et aujourd’hui je voudrais te crier :
Je t’aime Maman. !
Jeannine
poème écrit en mai 2011
Elle s’est aussi souvent posé une question : Si une autre femme qu’elle avait vécu la même chose, l’aurait-elle raconté de la même façon ?
Certainement pas car c’est en fonction du caractère et de la personnalité de chacun que l’on perçoit les événements et que l’on réagit.
Ce qui veut donc dire qu’une même histoire, composée des mêmes éléments, peut être perçue de façon différente sans pour autant qu’il y ait, omission, ou interprétation mensongère.
N’y a-t-il pas ici un paradoxe ? C’est quoi au juste la vérité ?
Et puis, c’est quoi un souvenir ? des images précises, des mots entendus ou encore des événements racontés par d’autres et sur lesquels on a mis des images, comme si on y était, sans pour autant les avoir vus soi-même ?
Jeannine ne sait pas quelle est la part du vrai et de l’imaginé dans tout ce qu’elle a raconté ; tout ce qu’elle a écrit était là, quelque part dans son conscient ou encore son subconscient et ne demandait qu’a sortir mais même s’il y a des erreurs, elle a vraiment essayé de raconter les choses telles que dans son esprit elles se sont passées, sans retrancher, rajouter ni défigurer quoi que ce soit.
Elle se rend compte aussi que ses souvenirs ne parlent que de choses tristes mais pourtant, c’est sûr, il y a eu des joies : ce landau qu’elle promenait des heures ne pouvait qu’être un cadeau pour Noël ou son anniversaire, ses bébés qu’elle protégeait, idem, d’avoir mangé à sa faim, (elle se souvient particulièrement de la purée de châtaigne), d’avoir eu des parents soucieux de sa santé et ce, pendant une guerre, tous ces détails prouvent qu’elle n’a jamais été maltraitée physiquement, alors pourquoi a-t-elle occulté ces instants de joie pour ne se souvenir que de la peine ressentie à divers moments de son enfance? Peut être a-t-elle cherché par ce moyen la tendresse qui lui a manquée et pour cela, se poser en martyr était un moyen d’y parvenir et ce n’est que quand elle n’a plus eu besoin de ces artifices qu’elle s’est rendue compte qu’il manquait quelque chose à son récit, que celui-ci était en quelque sorte tronqué à son avantage.
Mais quoi qu’il en soit, heureusement, elle s’est rendue compte aussi de ce genre de détails qui réhabilitent ses parents qui n’étaient pas aussi mauvais que cela.
Une vie, la mienne se termine ici.
L’auteur de ces lignes aura 77 ans dans un mois et quelques, elle aime la vie qu’elle a, elle aime ce qu’elle fait, elle aime toutes ces petites choses qui compose son existence. Elle a toute sa tête, qu’elle espère garder valide jusqu’au bout, pour en vivre le dernier épisode, celui de sa mort qui n’est en fait que le dernier acte de cette partie de vie qui lui a été donnée un certain 26 Octobre 1938 à Evron à 8 heures du matin.
Jeannine Simone Andrée Avranche