
Ma vie n’a pas été un long fleuve tranquille. Elle est jalonnée de périodes heureuses mais jamais pour très longtemps, puis de déceptions accompagnées de larmes et parfois du désir d’en finir pour de bon.
Il me faudra cinquante ans pour comprendre que je ne trouverai jamais ce que je cherche, là où je le cherche et comme je devais être prête à accepter ce message, j’ai mis au placard ma quête d’amour, mes désirs d’aimer et d’être aimée et c’est ainsi que j’ai, enfin trouvé la paix
Heureusement toutefois, j’ai toujours aimé écrire et j’ai consigné mes aventures telles que je les ai vécues.
En me relisant, je retrouve et mes chagrins d’antan et le chemin parcouru pour arriver à ce que je suis devenue, une vieille femme qui ne regrette rien mais je ne peux pas dire pour autant que si c’était à refaire, je referais pareil.

Il s’appelait Raymond
L’histoire commence en 1969. J’habite à Asnières et face à mon immeuble, se trouve la crémerie-épicerie de Renée.
Au fil des mois, nous avons sympathisé car certaines choses nous rassemblent : nous sommes du même âge, nous tombons enceinte en même temps et bien sur nous accouchons à quelques jours d’intervalles.
Renée est une femme sans histoire, peu causante, n’ayant jamais eu le temps de beaucoup rêver car son petit commerce périclite du fait des supers marchés qui poussent un peu partout et absorbent la clientèle des petits commerçants, c’est une laborieuse qui vit sans se plaindre sa petite vie à répétition.
Raymond son mari, que je ne connais pas, est chauffeur dans une grande société gouvernementale et comme il a beaucoup de temps de libre et des mains en or, il a loué quelque part, un box qu’il a transformé en menuiserie et dans lequel il fabrique des petits meubles de cuisine et de salle à manger, pour lui , ses voisins et connaissances, ce qui lui permet d’arrondir les fins de mois. Lui non plus ne parle pas beaucoup, ni à sa femme, ni à son entourage et il est habitué à vivre ainsi et ne s’en plaint pas.
Tout aurait pu continuer ainsi longtemps mais le destin, pas toujours très clément, va changer le cours de l’histoire.
Nous sommes en 1972, nos enfants ont grandi mais j’ai pris l’habitude d’aller assez souvent à la boutique pour donner un coup de main à Renée qui est débordée, et par sa petite fille, et par ce commerce qui l’occupe depuis 5 heures du matin, heure des livraisons, jusque tard dans la soirée pour ne pas louper une vente.
Et un jour lorsqu’elle m’accueille, son visage est décomposé. Nous sommes en décembre et comme chaque année à pareille époque, Renée à commandé des victuailles de fête, foie gras, champagne etc … qu’elle a entreposées dans sa cave. Ces achats, non encore payés, sont les seuls qui lui permettent, une fois par an, grâce à des marges bénéficiaires plus conséquentes, de renflouer un peu sa trésorerie. Or des voleurs se sont introduits de nuit dans les sous-sols et ont tout déménagé. Il ne reste plus rien. La perte est considérable car les marchandises devront être payées aux fournisseurs.
Et avec quel argent ?
La police a été prévenue et est venue faire son enquête mais celle-ci a été tellement bâclée que les policiers ne pensent même pas à chercher d’éventuelles empreintes et quand Raymond leur pose la question, l’un d’eux répond : « oh ! vous savez, des histoires comme la vôtre, nous en avons environ 7 ou 8 par jour alors !!!…..
Raymond, nous le savons déjà, n’est pas bavard, alors, selon sa bonne habitude, il va garder cette histoire pour lui et il va…… ruminer,….. ruminer pendant des jours, pendant des mois et il va naitre de cette situation, une colère rentrée qui va grossir…. Grossir…. et ne demander qu’à éclater.
Quelques mois passent. Pour essayer d’oublier, il travaille dans son box jusqu’à des heures avancées et il remarque qu’à quelques dizaines de mètres de lui, un autre box est aussi occupé par des hommes, qui viennent et s’en vont, qui entreposent des réfrigérateurs, machines à laver puis viennent les rechercher et un jour, un des hommes vient lui emprunter un outil et c’est ainsi qu’ils vont faire connaissance.
Pourquoi Raymond n’a- t- il pas continué à se taire comme il le faisait depuis toujours ? Il faut croire que le fardeau était trop lourd à porter et il va un jour, se sentant en confiance, raconter le vol dont il a fait les frais.
Ses nouveaux voisins l’écoutent en silence et puis un jour eux aussi mis en confiance vont lui révéler leurs activités. Ce sont des hommes qui dévalisent, puis revendre les marchandises volées, non pas dans les caves mais dans les entrepôts et ils font, eux, dans l’électro-ménager.
Encore quelques mois durant lesquels il ne se passe rien et puis un jour, on propose à Raymond de participer à un braquage sans risque, après quoi il touchera sa part, une bonne part, qui renflouera pour un certain temps les caisses de l’épicerie désespérément vides.
L’isolement moral dans lequel il se trouve, le poids de la fatalité, une envie de se venger contre cette vie si injuste, envers lui et sa femme vont le faire emprunter un chemin qu’il ne connaît pas : celui de la malhonnêteté. Là non plus il ne va rien dire à sa femme, pour ne pas l’inquiéter ; de plus, dans son esprit, il s’agit d’une seule tentative de récupérer par tous les moyens une partie de ce qui lui a été volé et dont tout le monde se fout, y compris les hautes instances qui sont là pourtant pour défendre des gens comme lui.
Cette fois là, il ne s’agit pas de matériel électrique mais de braquer un employé des allocations familiales qui vient à date fixe apporter l’argent aux familles bénéficiaires. Tout a été prévu, le fils d’un des concierges à donné tous les renseignements, les repères ont été faits, il n’y a plus qu’à attendre la tournée de l’employé car dans une des familles, les malfaiteurs sont entrés de force et la retiennent en otage attendant que l’homme sonne, puis entre. Après quoi, il suffira de l’estourbir, de lui prendre sa sacoche et de filer. Raymond lui, est le chauffeur et il attend dehors, le moteur allumé.
Le braquage va bien se passer à un détail près : dans l’affolement un des voleurs, armé alors qu’il avait été expressément dit que personne ne porterait d’arme, va tirer un coup au plafond car l’employé des allocations se débat plus qu’ils ne l’avaient imaginé. Le bruit va attirer l’attention et même si les braqueurs on pu s’enfuir, ils ont laisser trop de traces qui vont permettre à la police d’attraper toute la bande.
Un soir elle se pointe chez Renée et sous ses yeux, on embarque son mari sans lui fournir la moindre explication.
Renée va garder cela pour elle aussi longtemps qu’elle le pourra mais un jour, elle est forcée de me mettre au courant, non seulement parce que pour elle aussi le poids du silence est trop lourd mais en plus, elle a encore plus besoin de moi pour garder le magasin puisqu’elle va se rendre deux fois par semaine à la Santé où son mari est incarcéré .
Pendant un certain temps il ne se passe rien mais Renée me raconte ses visites au parloir et c’est ainsi que je vais apprendre qui est cet homme, leur rencontre, leur mariage, je verrai même des photos sur lesquelles apparaît un bel homme.
Au fur et à mesure qu’elle me parle, je les découvre tous les deux, j’imagine la vie qu’ils ont eu jusqu’à ce jour tragique ou tout a basculé et je me rends compte de la tristesse de celle-ci, des gens qui ne se sont jamais posé de questions, qui n’ont eu ni joie ni peine, qui ont laissé les événements les conduire. Seule leur fille est un rayon de soleil dans cette vie terne.
Alors il me vient l’idée de correspondre avec Raymond pour apporter dans sa cellule un petit peu du soleil qu’il n’a jamais vu. Renée accepte et c’est ainsi que va commencer une correspondance qui va durer plus de 3 ans.
Au début, les échanges sont peu nombreux et les lettres courtes et insignifiantes mais petit à petit, Raymond va commencer à « parler » à « se raconter » à se rendre compte qu’il a fait lui aussi des rêves lorsqu’il était plus jeune, qu’il avait des désirs jamais assouvis et qu’il va commencer à vivre.
Bien entendu, je montre les lettres que j’envoie et que je reçois et à mon mari et à Renée et personne ne voit rien à redire, à tel point que cela n’intéressant ni l’un ni l’autre, je finis par cesser de parler de ma correspondance et lorsque nous approchons de Juin 1973, date à laquelle je partirai rejoindre mon mari en Côte d’Ivoire, j’obtiens du juge trois permis de visite.
…………..Cette vitre qui nous sépare nous ne la voyions même pas, se sont nos yeux qui communiquent et les mots d’amour que nous ne prononçons pas, éclatent dans nos cœurs tels un feu d’artifice.
Maintenant je connais bien Raymond, je le devine, je sais tout ce qu’il ressent et j’ai alors une folle envie de le faire rêver, de s’évader en rêve de ses quatre murs. Sans bien me rendre compte de ce que je fais ni où cela va nous conduire, je l’entraine dans mon monde d’imagination où tout n’est que beauté et amour.
Voici le premier poême en prose que je lui ai envoyé et que j’ai pu sauver de la catastrophe puisque ma mère un jour, découvrant ma correspondance, la détruira en me traitant une fois de plus de « vicieuse »
Le prisonnier.
Tous ces gens que je vois marcher autour de moi lorsque je vous quitte, c’est avec vos yeux que je voudrais les voir.
Ces enfants qui jouent et crient, je voudrais que ce soit les nôtres.
Cette musique venue de nulle part, c’est ensemble que je voudrais que nous l’écoutions et si je suis triste en vous quittant, c’est parce que je n’ai pas pu vous apporter tout cela en venant.
Mon tendre amour, les murs de votre cellule, je les ai recouverts de papier peint à fleurs bleues. J’ai aussi accroché ça et là, quelques tableaux, ceux que je préfère. A la fenêtre, vous pouvez voir une mousseline qui frémit au moindre souffle de vent et le soir, lorsque vous tirez les doubles rideaux, ceux-ci sont de velours rouge foncé et ils nous protègent de tous les regards indiscrets.
……………….Ce qui va nous aider à sublimer notre correspondance c’est que jusqu’au bout nous garderons le « vous » pour nous parler, un mot qui élève ceux qui l’utilisent, un mot qui évite tout dérapage épistolaire, un mot qui embellit les phrases, quatre petites lettres qui font toute la différence.
Lorsque je me suis rendu compte de la tournure que prenaient nos lettres, j’en ai parlé à Renée, par honnêteté, et je pense que si elle avait réagi à ce moment là, tout se serait arrêté mais la seule chose qu’elle m’a dite en guise de réponse c’est : « c’est une femme comme vous que mon mari aurait du épouser » J’ai pris cela pour une acceptation de sa part et à partir de ce moment plus personne ni plus rien n’avait d’importance.
Lors de mes visites, Raymond est de plus en plus inquiet. Il apprend par sa femme qu’elle veut vendre la boutique pour récupérer le « pas de porte » qui lui permettra de vivre un peu mieux et de voir venir mais Raymond sait qu’elle est non seulement ignorante des lois et démarches à faire pour ne pas se faire rouler mais qu’en plus elle est très têtue et que quand elle a quelque chose dans la tête, il est très difficile, voire impossible, de l’en dissuader.
Je voudrais l’aider de toutes mes forces car il faut surtout qu’il garde courage, il va lui en falloir pour affronter tous ces mois de préventive avec au bout, un procès qui est loin d’être gagné d’avance alors, avec les moyens mis à ma disposition, c’est à dire rien, si ce n’est que mon désir de l’apaiser je continue à lui écrire et à le faire rêver :
Consolation
………….je voudrais être pour vous la maman qui berce son petit garçon lorsque celui ci a du chagrin et que deux grosses larmes coulent le long de ses joues.
Je voudrais être l’amie chez qui on vient bavarder en toute quiétude.
Je voudrais être le copain sur qui on peut toujours compter.
Je voudrais être l’épouse fidèle et attentionnée et aussi l’amante passionnée.
Viens mon petit enfant, près de moi tu trouveras la paix.
Viens mon doux ami te détendre en ma compagnie.
Viens solide camarade et offre-moi ton franc sourire.
Viens mon compagnon et protège moi contre la vie, ta maison t’attend chaude et calme.
Viens mon merveilleux amant, conduis-moi dans ce paradis que nous avons constuit tous les deux, pour nous deux, rien que pour nous deux.
………………… Quelques mois ont passé. Le 7 mars 1972 je suis partie pour Abidjan rejoindre mon mari avec mes deux enfants. A peine débarquée, j’apprendrai que mon époux à une maitresse et sans plus d’explication sur notre avenir immédiat je me retrouverai seule pour affronter ma nouvelle vie pleine de points d’interrogation.
Je pense que ce sont les lettres que j’ai pu écrire à Raymond ainsi que ses réponses qui m’ont permis de ne pas sombrer complètement dans la folie, et durant les premières semaines de mon séjour en Afrique je serai une automate pour tout ce qui concerne les actes les plus simples de la journée ne reprenant vie que lorsque je suis devant mon écritoire et que je n’existe plus que pour une seule raison :LUI.
La séparation :
Ma vie, mon chéri, n’a de valeur que si elle est vécue pour quelque chose ou pour quelqu’un et je vous la donne si vous en voulez, mais si vous souhaitez que je me raconte, il faut alors que vous m’aidiez parce que là, revient toute ma timidité.
Je peux répondre à tous vos élans si vous savez entretenir la flamme qui brûle en moi, si vous savez cultiver ce jardin dont nous avons parlé, et comme dans tout cela j’ai aussi un rôle à jouer, je veux être tour à tour, celle qui attend, celle qui espère, et celle qui propose.
Mais là, les mots n’ont plus de sens, ou peut-être est-ce ma poêsie qui s’arrête, nous entrons dans un domaine où tout est mystérieux et où le moindre geste peut-être fatal ou merveilleux.
Et ce geste, je voudrais que vous le fassiez avec la clé que je vous ai donnée et qui ouvre toutes les portes.
Raymond cher à mon cœur, je pense à toi sans cesse
A cette séparation qui tous les deux nous blesse
Y-a-t-il quelque part un coin de ciel bleu ?
Mon cœur me dit qu’un jour nous y serons heureux,
Où qu’il se trouve cet endroit de délices,
Nous saurons le trouver, déjà mon cœur s’y glisse,
Dans tes bras je suis bien, viens et ne sois plus triste.
Renée à bien sur très mal vendu son magasin, et à cause d’un vice de forme elle ne touchera qu’une infime partie de ce qui lui revenait ; Raymond, de sa cellule assiste impuissant à cette situation dont il prend une part de responsabilité car s’il avait été dehors….. rien de tout cela ne serait arrivé.
Avant mon départ pour l’Afrique, j’avais rendu visite à son avocat. Cet homme s’était révélé plein de compassion pour moi, essayant de me prévenir que je m’engageais sur un chemin de non-retour puisque, une fois libéré, Raymond retournerait vers son épouse et sa fille. Il avait aussi pris connaissance des lettres que je lui écrivais et de leur contenu et avant que je le quitte, il m’avait demandé de lui écrire tout ce que je pensais de Raymond, avec mes mots à moi, lettre dont il se servirait au procès pour convaincre les jurés que cet homme qu’ils avaient à juger, était plus victime d’un moment d’égarement que coupable. J’ai appris après le procès que ma lettre avait fait partie de son plaidoyer.
Je recevrai des missives merveilleuses de Raymond, décorées de dessins faits au pastel , dont les coins on été découpés à la lame de rasoir et colorés tels de l’origamie, et je vais, tout le temps que je le pourrai, continuer de le faire rêver.
ATTENTE :
Depuis des heures et des heures je vous attends dans notre châlet et je m’inquiète de votre retard.
Ce matin, lorsque j’ai senti le vent se lever, lorsque j’ai vu la neige tourbillonner, j’ai su que le chemin serait rude pour vous. Alors je suis descendue dans la vallée, du plus loin que j’ai pu je vous ai cherché puis j’ai regagné notre maison en parsemant le chemin de roses rouges.
La lune est à son plein,elle éclaire cette surface blanche maintenant calmée.
Dans la maison j’ai tout allumé,
Elle est un phare guidant un naufragé,
Vous êtes un bon navigateur,
Cette pensée me réchauffe le cœur.
Et tout à l’heure quand vous allez rentrer,
Dans vos deux bras je vais me précitiper
Je vous enlèverai votre manteau trempé,
Et puis j’essuyerai vos cheveux tout mouillés
De mes mains je réchaufferai votre visage froid
Et mes yeux vous diront quel était mon émoi.
Alors vous me prendrez doucement contre vous,
Et ensemble nous ferons les rêves les plus fous
Maintenant mon chéri, vous êtes fatigué,
Je vais donc vous laisser aller vous reposer
Je voudrais seulement avant de vous quitter
Vous entendre une seule fois me dire que vous m’aimez.
…………….Raymond est sorti de prison, il a écopé de 4 ans d’emprisonnement mais son temps de préventive plus les remises de peine pour bonne conduite et études faites en prison, avec obtention d’un diplôme, lui ont valu de sortir assez vite après son procès.
Dès sa libération, et conseillé par une assistante sociale, il suit des cours pour sa reconversion professionnelle et est en internat toute la semaine, ne rentrant auprès de son épouse et de sa fille que pour les week-end.
Il nous reste peu de temps pour nous écrire nous le savons tous les deux car lorsqu’il sera définitivement chez lui, plus rien ne sera possible.
REVERIE
Je me suis vue dans bien des années devant le piano que vous m’aviez offert, jouant pour vous, rien que pour vous, tout ce que nous aimions.
La maison est grande, claire et propre.
Depuis longtemps déjà nous sommes ensemble et chaque matin nous lisons dans les yeux l’un de l’autre, le même élan de tendresse qui nous fait vivre intensément..
C’est que nous avons tout partagé, les durs moments et les meilleurs. Rappelez-vous nos débuts, ces premières années si difficiles. Jamais vous n’avez douté et moi j’étais fière d’être auprès de vous. Je vous ai vu travailler sans ménager votre peine et dans ces moments là, j’aurais voulu être un homme pour pouvoir vous aider.
Mais quand arrivait le soir, harassée de fatigue, j’étais heureuse d’être femme car malgré tous vos soucis, vous trouviez encore le moyen de vous occuper de moi, de me faire rire, de m’émouvoir et dans notre maison aussi pauvre fut-elle, c’était le bonheur qui scintillait partout.
Ce vieux meuble bancal qui était dans un coin, nos yeux le transformaient en un bahut rustique fleurant bon la cire et notre vieux réchaud devenait cheminée ; là où le sol s’effritait, nous mettions un tapis. Notre vaisselle ne valait guère mieux mais là aussi nous avons fait des prouesses ; l’assiette ébréchée devenait porcelaine de Saxe et le verre à moutarde, flûte de cristal.
Bien souvent, nous avons bu le champagne du puits, chaque jour plus frais et plus limpide, puis nous nous inventions des rêves, mêlant tous deux notre imagination.
La nuit tombait alors sur notre beau château et chaque soir, je vous ai retrouvé plus prévenant et plus tendre, cherchant par tous les moyens à me faire plaisir.
Vous m’avez offert un bonheur merveilleux et je n’ai jamais regretté d’être de vos côtés.
-Voilà mon doux cœur où mes rêves m’ont conduites
-Auriez-vous aimé cette vie que je vous ai décrite ?
Moi je suis en plein marasme. Séparée de mon mari, je vis avec un compagnon africain qui est entrain de devenir fou. Au travail c’est le drame et c’est dans ces conditions que je vais perdre la seule chose qui me tenait la tête hors de l’eau.
Jusqu’au bout je lui écrirai, jusqu’au bout j’essayerai de lui insuffler le courage de continuer. Moi, lorsque j’aurai besoin de lui, il n’y aura plus personne car il sera repris par la vie de tous les jours ainsi que par cette nouvelle vie qui commence pour lui…. sans moi.
……..La nuit tombe tout doucement, nous sommes sur la terrasse, le repas terminé, nous écoutons le silence. La mer remonte, nous le savons sans la voir puisque son cœur vient, d’un rythme régulier, frapper le flanc des rochers.
Les feuilles des arbres s’agitent au moindre souffle du vent.
Alors sans rien dire vous vous levez, vous me tendez la main et je la prends car je sais qu’elle m’invite à une longue promenade à vos côtés. Nous descendons les quelques marches, puis nous nous enfonçons dans le sous-bois. Nous marchons ainsi perdus dans nos pensées, les feuilles craquant sous nos pas car c’est déjà l’automne et ce bruit nous rappelle que nous existons. Qu’il est bon de marcher ainsi main dans la main comme nous le faisons depuis des années !. Je sens mon cœur battre un peu plus vite et la pression de votre main se resserre.
Devant nous, une petite clairière nous invite et c’est sur un tapis de mousse que nous nous reposons.
Vos mains sont douces comme des pétales de roses et vos baisers brulants comme le sirocco et lorsqu’un long frisson tout à coup me parcourt, vous savez alors très bien que ce n’est pas le froid mais seulement le désir d’être tout à vous.
23/05/1973 écrit que je viens de retrouver et que j’avais oublié
A la source de vos lèvres je viendrai les chercher
Ces 1000 baisers brulants et j’en redemanderai
Et comme la source est intarissable
Votre cœur en produisant beaucoup,
J’en aurai pour un temps indéfinissable
Il suffira de les demander, c’est tout !
Et comment les demande-t-on à un homme tel que vous ?
Faut-il faire une prière, ou bien devenir fou ?
Ou encore se blottir contre votre poitrine
Ne dites rien cher cœur, ne dites rien je devine.
Dans un petit sachet que vous m’avez donné
Il y a mille baisers qui sont ma récompense
Dites-moi mon chéri si vous avez trouvé
Le temps qu’il me faudra pour en faire la dépense. ?
Dans les derniers jours de notre correspondance.
Si ma lettre ne vous plait pas
C’est que je suis triste à mourir
J’aurai voulu rêver
Mais le rêve n’a pas voulu venir
J’ai l’impression d’être abandonnée
Et de vous avoir perdu à jamais
Mais que deviendrai-je si cela arrivait
Ce vide qui m’entoure est comme un gros nuage
Et j’avance titubante en cherchant mon chemin
Chaque pas que je fais me coute davantage
Je me demande quand vous me tendrez la main
Mon cœur est un ténor et ne chante que pour vous
Avant il était mort, il vit depuis le jour
Ou vous m’avez écrit combien vous m’aimez
Alors oui vous pouvez changer tous les mots
Je suis sure que votre âme en connaît de très beaux
Vous pouvez à loisir faire les rectifications
Que ce soit avec ou sans ma permission.
Lorsque ma mère détruira une grande partie de mes écrits, elle me privera de beaucoup de mes souvenirs et c’est pour cela que ceux qui restent, j’ai eu beaucoup de plaisir à les retranscrire ici, car c’était un moyen de les faire revivre même si ce n’est que pour un court instant.
F I N