Quand on vit dans ce coin d’Afrique, il faut avoir le coeur sacrément bien accroché pour supporter cette fringale qui vous taraude du matin jusqu’au soir et du courage, « petit Rrené » en avait à revendre car cela faisait des années qu’il ne mangeait pas à sa faim et pourtant, il était toujours debout.
Ce matin, il s’était levé de bonne humeur et après s’être frotté les yeux pour y voir plus clair, décrotté le nez pour mieux respirer et gratté le derrière qui le démangeait encore plus que d’habitude, il avait décidé que ce jour là ne serait pas comme les autres.
Sans but précis, il déambulait dans les ruelles étroites se dirigeant vers la place du marché dont les poubelles, il le savait, regorgeraient de nourriture qui ferait son dimanche même si on n’était que mardi.
Lorgnant le soleil déjà très haut dans le ciel, il décida qu’il devait être au moins midi, heure propice aux recherches et aux trouvailles.
Tout en se rendant vers ce lieu de délices, il passait en revue sa petite vie qui avait assez mal commencé, avait continué sous les mêmes auspices en se jurant qu’un jour, tout cela changerait à son avantage.
Il se souvenait de l’arrivée des blancs qui, sous le prétexte de mettre de l‘ordre là où il n’y en avait pas, avaient foutu un bazar pas possible.
Dans un premier temps, ils avaient voulu relever l’identité de chacun afin de donner une carte d’identité à tous mais comme ils posaient des questions dans une langue que personne ne comprenait mais que par ailleurs on savait qu’il ne fallait pas décevoir les « grandes oreilles » sous aucun prétexte, on faisait de son mieux, sans trop se mouiller, pour répondre quelque chose.
Quand était arrivé son tour, il se trouvait devant un blanc assez ventru, une moustache imposante qu’il semblait mâchouiller et des yeux globuleux qui avaient l’air de vouloir tomber sur la table de bois, il avait demandé :
-Et toi, comment tu t’appelles ?
-Voui Missié
- ton nom ?
-Voui Missié
Ayant compris qu’il ne tirerait rien de ce petit abruti, il avait décidé qu’il s’appelait « René » et comme il roulait les « R » il en fallait au moins deux pour respecter la consonance de cette nouvelle identité .
René s’était donc de ce jour là appelé « Rrené » et il aimait bien ça.
Ensuite, d’autres questions avaient fusé du genre :
-Quel âge as-tu Rrené ?
-Voui Missié
-ouvre la bouche !
L’homme avait regardé ce qui se trouvait à l’intérieur, il avait compté le nombre de dents puis avait consulté un carnet sur lequel étaient notées toutes les réponses à ses questions et content de lui, il avait décrété que « Rrené avait 8 ans.
Pour s’assurer qu’il ne s’était pas trompé, il avait mesuré le gamin mais là, il avait eu un petit problème car la taille ne correspondait pas du tout à l’âge qu’il lui avait donné ; en effet, en fonction du nombre de centimètres trouvés, (toujours d’après le carnet) Rrené n’avait pas plus de 6 ans.
Usant alors d’une logique implacable et après s’être gratté l’oreille, le blanc avait écrit sur la carte d’identité : 7 ans.
Fier de lui (on le serait à moins) il avait roté discrètement, caressé sa moustache et avait demandé à « Petit Rrené » de signer.
Pour ce faire, il lui avait trempé l’index dans l’encrier, l’avait légèrement essuyé et il l’avait posé sur la carte le faisant rouler de droite à gauche, dessinant de ce fait de belles circonvolutions violettes.
Petit Rrené, pour ne pas se salir davantage, avait sucé son doigt mais le goût qu’il en avait tiré ne lui avait pas vraiment plu.
Derrière lui, se tenait dans la file indienne, un copain qu’il connaissait bien et avec qui il jouait assez souvent mais il se demandait quel âge « grande oreille » lui donnerait car il avait au moins une tête de plus que lui alors qu’ils étaient nés la même année.
Ce que les blancs ne savaient pas, c’est qu’en fonction de l’ethnie à laquelle on appartenait, on était grand ou petit, l’âge ne faisant rien à l’affaire.
Un peu plus tard, on avait offert à tous ces galopins le droit d’aller apprendre à lire et à écrire le français, à compter sans oublier quelques leçons d’histoire dont une qui commençait par ces mots :« nos ancêtres les gaulois »
Le gamin avait donc entendu parler, des trois groupes de verbe, des hiboux qui prennent un « x » au pluriel et aussi que 3 fois 3 font 9, l’apothéose étant qu’il était même possible de savoir exactement où se croiseraient deux trains partis de deux endroits et vitesses différents, lorsqu’ils se rencontrent et aussi, encore plus fort, le problème des robinets qui fuient en étant capable de déterminer la quantité d’eau perdue à la goutte près (et D-ieu sait si, en Afrique, la moindre goutte d’eau est sacrée).
Les années avaient passé, des bons points avaient été distribués aux meilleurs et des coups de règle sur les doigts pour les autres.
Petit Rrené avait eu droit très souvent à ce supplice qu’il n’aimait pas du tout et un jour, allez savoir pourquoi ? (un réflexe probablement) il avait retiré ses doigts juste au moment où la baguette allait s’abattre sur cette main martyrisée ; la badine avait alors continué sa course et était arrivée à toute allure entre les jambes de l’instituteur le frappant violement là où ça fait si mal.
Est-ce pour cela qu’il avait été exclu à vie de l’école du savoir ? on ne le lui avait pas dit mais tout idiot qu’il était, il avait quand même fait le rapprochement entre ceci et cela.
Il n’avait plus de père et mère depuis fort longtemps mais par contre, oncles tantes et cousins foisonnaient dans sa petite vie, lui assurant le gîte et le couvert et lui apprenant les rudiments de ce que serait sa vie plus tard.
Il aimait bien le sorcier du village qui, assis sous un grand arbre, racontait de belles histoires dont il fallait trouver tout seul le message car le vieil homme ne livrait aucun de ses secrets. Il profitait aussi de toutes ces années qui défilaient devant lui, pour observer les gamins groupés autour de lui car il savait qu’il lui faudrait, un jour, trouver son successeur, celui à qui il devrait transmettre toutes ses connaissances médicales et autres.
La vie au village était immuable, rythmée par les différentes saisons des pluies, au nombre de quatre : la saison des petites pluies, celle des grandes grandes pluies puis ensuite, les petites grandes pluies pour finir par les grandes petites pluies, chacune déterminant les actions à entreprendre, labourage, semence, moisson, récolte.
Pendant les périodes creuses, on fiançait, mariait, divorçait. En ce qui concerne les funérailles, on ne leur fixait aucune date précise, les laissant venir à leur guise, le plus tard possible. C’était alors l’occasion de se vêtir de boubous flamboyants, de beaucoup pleurer, de palabrer, honorant comme il se doit celui ou celle qui venait de disparaitre et comme il fallait bien se remonter le moral comme on pouvait, on buvait aussi plus que de raison, Whisky, Ricard, Gin, et toutes les boissons apportées par les blancs venus en voyeurs visiter les villages de ceux dont ils rigolaient bien une fois partis. A tout cela s’ajoutait de l’alcool de riz fait maison et de la bière bien chaude et inutile de préciser que quelques heures plus tard, tout le monde était pompette, façon comme une autre d’oublier la peine ressentie par le départ de ceux qui ne reviendraient jamais.
Les enfants n’avaient, en principe, pas le droit de boire de l’alcool mais très vite, ils avaient compris qu’en attendant un peu, la surveillance exercée sur eux s’édulcorerait jusqu’à disparaître complètement, après quoi, les gamins se servaient copieusement de tous ces délices qui étaient interdits.
Et puis un jour, petit Rrené en avait eu marre de cette vie bien rangée et il avait quitté le village sans rien dire à personne et était parti pour « la grande aventure », ce qui l’avait conduit à la ville la plus proche où il ne connaissait personne et c’est là que sa galère avait commencé car le village, c’est peut-être lassant mais on est assuré du gîte et du couvert alors que dans cette cité démesurée, ou personne ne connait personne, c’est chacun pour soi.
Il venait tout juste d’arriver au marché grouillant de monde et la faim le tenaillant plus que de coutume, il se dirigea droit vers la poubelle centrale (la mieux approvisionnée).
Dégageant délicatement les arêtes et têtes de poissons, puis les intestins de plusieurs poulets occis pour la vente du jour, il découvrit, encore enveloppé dans un sac de plastic, un demi sandwich dégoulinant de ketchup (ses préférés).
Il allait refermer le couvercle de ce super marché ambulant quand il aperçut un truc bizarre, une de ces choses qu’il n’avait jamais vue.
Se méfiant un peu au début, il sorti de sa cachette une pochette assez grande, avec fermeture éclair. Il décida alors d’aller se cacher pour ouvrir la boite à malice afin que personne ne lui vole son trésor.
Bien installé dans le terrain vague, entouré de broussailles, de pierres et de bouses de vaches, il avait posé sur ses genoux son merveilleux trésor qu’il n’osait pas ouvrir. En effet, tout le temps qu’il ne savait pas ce qu’il contenait, il pouvait rêver aux choses les plus folles mais une fois que la zip aurait fait son ouvrage, que trouverait-il ?
Rien ! ça, ce n’était pas possible car il sentait bien, au toucher, que cette valisette contenait quelque chose, mais cela vaudrait-il le coup, s’il était pris sur le fait, d’être accusé de l’avoir volée alors qu’il l’avait seulement trouvée ?
De toutes façons, les grandes oreilles ne croyaient jamais ce qu’un noir leur racontait, sauf si c’était déjà marqué dans leur carnet magique, et encore !!!
Et comme par ailleurs ses mains n’écoutaient jamais ce que son esprit lui conseillait, il vit qu’il avait ouvert le sac à malice qui baillait aux corneilles.
En premier lieu, il trouva une sorte d’écharpe qui sentait très bon, les blancs se parfumaient toujours beaucoup et c’était tant mieux car au réveil, ils devaient avoir une odeur fade, un peu écoeurante.
Venait ensuite, un joli stylo tout en métal attaché à un carnet de cuir et ciselé d’arabesques en argent et comme Rrené avait retenu quelques leçons de lecture apprises voici bien longtemps déjà, il se promit de lire cela à tête reposée.
Au fond du sac, un gros portefeuille bourré de cachettes qui contenaient toutes quelque chose : dans l’une des photos, dans une autre des papiers divers, ailleurs encore, des billets et dans la dernière fermée par un bouton pression, des pièces comme il n’en avait jamais vues ; de toutes les formes, de toutes les couleurs, de tous les montants mais même si le gamin ne savait vraiment compter que jusqu’à 10 là, il en était sûr, il y avait une somme considérable.
Sur les billets, figuraient en toutes lettres la mention : « francs CFA » suivie de différents chiffres : 10-20-50-100 ce qui lui rappelait vaguement que 20 était plus grand que 10 et que cent dépassait tous les autres d’une bonne tête.
S’il avait pu, il serait bien retourné au village pour demander au sorcier, et le montant de sa fortune, et ce qu’il pouvait s’acheter avec tout cela mais le vieux, malgré sa sagesse légendaire, était bien capable de le saouler de mots débités à vive allure, rendant incompréhensible ce qu’il disait pendant qu’il lui subtiliserait l’argent et le portefeuille ne lui laissant même pas les photos.
Le mieux était donc de se fier à son intelligence ou a défaut, à son instinct et décider tout seul de ce qu’il convenait de faire, étant bien entendu qu’il était exclus de rendre quoi que ce soit à qui que ce soit.
Mais c’est alors qu’un autre problème surgit et pour lequel il devait trouver la solution au plus vite : s’il se présentait chez un commerçant et qu’il paie avec une infime partie de son trésor, celui-ci se demanderait où il avait eu cet argent, lui poserait des tas de question auxquelles il serait bien incapable de répondre et comme les blancs, il penserait que cette fortune était volée et par conséquent qu’il pouvait se l’approprier à son tour, ceci afin de débarrasser la société d’une petit voleur de bas étage.
Une seule solution s’imposait alors : faire la manche près de l’épicerie et si par chance, il récoltait quelques pièces, au vu de tous, il pourrait alors acheter de quoi se sustenter sans attirer l’attention pour autant, après quoi, on verrait bien.
Ce qui fut pensé fut fait et c’est ainsi qu’il put échanger les quelques pièces reçues en aumône contre un gros sandwich au poulet et un coca bien chaud mais qui pétillait encore.
La journée était maintenant bien avancée et la question était de savoir où aller dormir.
D’habitude il ne se posait pas la question mais comme il avait un trésor à protéger et éventuellement à défendre, il ne pouvait pas se permettre d’aller n’importe où. Après avoir passé en revue tous les endroits qu’il connaissait, il n’en restait qu’un qui avait sa préférence bien qu’il n’y soit jamais allé : l’église.
D-ieu, il en avait entendu parler mais on lui avait raconté tellement de choses contradictoires qu’il avait bien essayé de démêler le faux du vrai mais n’y étant pas arrivé, il avait décidé, comme pour tout ce qu’il ne comprenait pas, de ne plus s’en occuper mais là, il lui fallait quand même savoir où il allait mettre les pieds (et son trésor).
En Afrique, les églises de villages ne ressemblent pas du tout au sacré cœur de Montmartre, ce sont bien souvent des baraques en bois qui se fissurent de partout, des bancs et non des chaises, des bénitiers qui fuient de partout et des petites boites dans lesquelles on entre pour raconter sa vie (sans rien oublier) après quoi, le curé donne une punition pour tous les péchés commis et quand on sort de l’édifice, on peut recommencer jusqu’à la prochaine confession.
Donc petit Rrené en avait conclu qu’on pouvait faire n’importe quoi tout le temps qu’on le racontait ensuite.
Le curé était un vieux bonhomme un peu vouté, myope depuis des lustres et qui marchait en dodelinant de la tête. L’enfant ne le connaissait pas vraiment mais il l’avait vu souvent parler aux adultes, caresser la tête des enfants, et surtout faire un signe cabalistique qui semblait vouloir dire : allez va ! je t’ai pardonné.
Il n’était pas installé depuis longtemps sur un des bancs du fond que le vieil homme s’approcha de lui :
-bonsoir petit, comment vas-tu ?
- ça va monsieur
-on ne dit pas monsieur mais « mon père »
-mais vous n’êtes pas mon papa
- non mais c’est quand même comme ça qu’on dit. Que veux-tu ? tu as des problèmes ?
-non, enfin si, au fond je ne sais pas c’est vous qui allez me le dire
-je t’écoute :
- voila ! je ne sais pas ou dormir
- et où dors-tu d’habitude ?
- ben ça dépend
- ça dépend de quoi ?
- de plein de trucs
Et tout à coup, il ne comprit pas pourquoi mais il sentit un irrépressible besoin de parler à ce grand père et de lui raconter son secret, alors, il parla.
Il avait tout raconté d’un trait. Il ne savait pas s’il avait été bien clair mais il se sentait mieux tout à coup comme si son secret qui, au départ pesait une tonne, avait diminué de moitié. Il n’osait pas regarder le vieillard qui, pour l’instant ne disait rien.
-Ecoute petit, quand on trouve quelque chose d’aussi important que le sont des papiers, des photos et de l’argent, on doit tout faire pour retrouver le propriétaire
- ah ben ça non alors, je l’ai trouvé dans une poubelle et ce n’est pas moi qui l’y ai mis
- Mais D-ieu lui, a tout vu et c’est lui qui te demande de restituer tous ces documents à son propriétaire,
- D-ieu n’a rien vu du tout, vu qu’ il n’était pas auprès des poubelles à ce moment là
- Il y était, mais tu ne l’a pas vu
- comment vous le savez ?
- Parce que D-ieu est partout !
- donc en ce moment il est auprès de nous ?
- oui !
- alors qu’il le dise qu’il a tout vu !
- D-ieu ne nous parle pas à nous, il parle à notre conscience
- c’est qui celle-la ?
- une petite voix qui parfois te dit ce que tu dois faire et que tu n’écoutes pas toujours.
c’ est vrai que souvent, il entendait quelque chose lui parler et lui donner des conseils mais comme en général il n’aimait pas ce qu’il entendait, il faisait comme si il n’avait rien entendu.
-Ecoute, reprit le curé, tu vas d’abord aller te reposer et demain, quand tu te réveilleras, nous reparlerons de tout cela et essayerons de trouver la meilleure solution pour toi et pour ces gens qui doivent chercher leur bien tout en désespérant de le retrouver.
A vrai dire, il tombait de sommeil car des émotions pareilles, ça fatigue vraiment et il ne mit pas plus de cinq minutes pour s’endormir, son trésor bien caché sous sa chemise, retenu prisonnier par ses deux bras qui ne le lâchaient pas d’une semelle.
Tôt le lendemain matin, il se réveilla en pleine forme car il avait dormi comme un loir et son trésor était toujours là, c’est alors qu’il sentit l’odeur d’un bon café que le vieux curé avait préparé pour lui.
Dans la sacristie, la table était mise et trônaient, bien en vu, de belles tartines beurrées comme il n’en avait pas vues depuis longtemps.
-Approche gamin et vient manger.
Un peu inquiet de la suite, « petit Rrené » décida que quoi qu’il arrive, il valait mieux avoir le ventre plein c’est pourquoi, il enfourna à la suite les unes des autres, toutes les tartines qui se trouvaient dans l’assiette, il but aussi d’un trait, le bol de café bien sucré et…. Il attendit.
-Alors ! as-tu réfléchi à ce que je t’ai dit questionna le prêtre ?
- non pas vraiment mais ce que j’ai trouvé est à moi !
- mais tu sais bien qu’en fouillant un peu, on risque de trouver des indices qui vont nous mettre sur les traces des propriétaires de toutes ces choses et là, tu diras quoi ?
-qu’on n’a qu’a pas regarder ce qui est écrit sur les papiers ! si vous voulez, on prend les billets et les pièces et je peux aller jeter de nouveau ce sac, dans la poubelle du marché ; comme ça, ça va ?
- non pas vraiment car ta conscience, elle, ne pense pas comme toi, les consciences disent toujours la vérité.
-ah ! parce qu’on en a plusieurs maintenant ?
- non mais toi et moi en avons une donc je sais ce que la mienne me dit.
- elle ne vous a jamais menti ?
-non jamais ! mais parfois elle m’a bien embêté et lorsque je ne l’ai pas écoutée, je m’en suis mordu les doigts
Portant ces doigts à sa bouche, il essaya cette technique mais à par la douleur qu’il ressentit, il n’était pas plus avancé.
-Alors qu’en penses tu de mon idée : on met tout ce que ce sac contient sur la table, on sépare l’argent du reste, et comme si nous étions des détectives, on voit si on a des traces des propriétaires et si on ne trouve rien, alors le tout sera à toi.
- la fin de la phrase plaisait beaucoup à « Petit Rrené » qui alors adressa une prière muette au D-ieu des aveugles, pour que celui-ci les aide dans leurs recherches.
Le curé était un très brave homme qui comprenait fort bien le désir que l’enfant avait de garder ce qu’il avait trouvé alors, lui aussi adressa une prière muette à son D-ieu, lui demandant de subtiliser, l’espace d’un instant, à sa vue, les documents fournissant des preuves de leur appartenance, qu’au moins sa myopie serve à quelque chose de positif pour une fois, après quoi, il les étala sur la table mais avant de commencer ses recherches, il se posait une question : comment se pouvait il que quelqu’un ait pu jeter un sac contenant tant de choses ? Soit il s’agissait d’un voleur, auquel cas il aurait au moins pris l’argent avant de se séparer du reste, ou bien c’était une vengeance à l’encontre de cette famille et là, ce sont les documents qui auraient dû disparaitre.
Etalés devant lui, des photos et le calepin. Sur les premières apparaissaient un joli bambin d’environ trois ans aux yeux bleus et aux cheveux blonds bouclés et une femme, surement la maman, très belle et semblant heureuse. Puis venait le calepin dont les pages étaient toutes recouvertes d’une écriture fine, élégante et appliquée.
Des mots avaient été jetés ça et là sans pour autant former des phrases compréhensibles, des dates aussi y figuraient, quelques nombres, qui auraient pu être des numéros de téléphone mais pour le détective qu’il n’était pas, tout ceci ne semblait pas vouloir le mener bien loin alors, cherchant de l’aide là où il espérait ne pas en trouver, il murmura : Mon D-ieu, mon D-ieu êtes vous toujours à mes côtés ? et n’obtenant aucun signe, il en déduisit que D-ieu devait être occupé ailleurs.
« Petit Rrené » lui, avait essayé de comptabiliser sa fortune mais voila ce qui arrive quand, au lieu de s’appliquer à l’école, on baille aux corneilles, on est incapable de savoir combien on possède et comment savoir si celui qui comptera à votre place ne vous mentira pas en énonçant une fausse somme dont vous êtes le détenteur. Il se rendait compte aussi que le fait d’être riche créait de gros problèmes qu’on n’avait pas quand on était pauvre comme Job ce qui ne voulait pas encore dire que sans rien, on n’était plus heureux qu’avec beaucoup mais………………..
Les investigations premières étant pour l’instant dans l’impasse, l’homme et l’enfant firent une pause devant un autre café agrémenté de « petits beurre » bien bons ma foi, chacun espérant que l’autre avait quelque chose à annoncer, mais devant ce silence assourdissant, les deux humains retournèrent à leurs pensées.
Le temps avait passé, les recherches pour retrouver les possesseurs des trésors de Petit Rrené étaient restées infructueuses. Il y avait bien eu cet article dans la presse, consultée à la bibliothèque nationale, qui relatait un terrible accident d’avion survenu des années auparavant et dans lequel de nombreuses personnes, dont des français, y avaient laissé la vie mais la piste s’était arrêtée là et au fond, Le père Grégoire n’avait pas voulu chercher plus loin, comme par exemple décortiquer les renseignements contenus dans les divers papiers placés dans une des poches du portefeuille car, il le pressentait, cette trouvaille était un petit clin d’œil de l’Eternel, pour donner une chance à Petit Rrené de sortir de sa misère.
Le gamin lui était toujours à la cure. Il aidait le curé dans ses petites tâches quotidiennes, et quand il avait le temps, le prêtre réapprenait à l’enfant à lire et à écrire et ma foi, il était assez doué le petit quand il voulait bien s’en donner la peine.
Ils avaient fait un pacte tous les deux : la cagnotte resterait cachée tout le temps qu’aucun indice n’obligerait à la déterrer et plus tard, beaucoup plus tard, elle servirait à donner un petit coup de pouce au jeune garçon, quand celui-ci saurait ce qu’il voudrait faire de sa vie.
Petit Rrené avait accepté le deal et constatait avec plaisir que c’était bien agréable de pouvoir faire confiance à quelqu’un . Et puis, il aimait bien l’église, ses odeurs d’encens, sa fraîcheur et aussi ce qui y rôdait de mystérieux. Par contre, avant d’enterrer le précieux magot, il avait subtilisé l’écharpe qui sentait si bon, ainsi que la photo de la jolie blanche et parfois le soir, il la prenait dans le creux de sa main et lui parlait comme à une amie et des fois même….. elle lui répondait mais sa voix venait de si loin qu’il entendait mal ce qu’elle lui disait ; une fois il lui avait semblé ouïr un mot qui revenait sans cesse : file, ou bien phil, ou encore fils mais il n’était sûr de rien.
Le temps passait, « petit Rrené grandissait », le curé vieillissait, la vie apportait de temps en temps son lot de surprises, de joie, de méprise ou de peine mais D-ieu devait surement veiller à ce que rien ne change afin que les humains sachent ce qu’ils avaient à faire, quand et comment le faire. L’Afrique sommeillait comme à son ordinaire.
Lorsque Philippe émergea de son profond sommeil, il lui fallut quelques minutes pour comprendre que tout ce qui avait peuplé sa nuit n’était qu’un rêve mais qui était donc ce « petit Rrené » ? qu’avait il à voir avec lui ? sa vie ? son destin ?
Comme à l’accoutumé, sa première pensée fut pour cette mère qu’il avait perdue alors qu’il était enfant, lors d’un crash qui la ramenait en France, après un long séjour en Afrique et qui ne vivrait pas son succès de ce jour dont pourtant elle serait si fière. Il l’avait attendue si longtemps cette maman adorée dont le visage s’était peu à peu estompé de sa mémoire. Plus tard il avait voulu entreprendre des recherches pour mieux comprendre ce qui était arrivé mais il n’avait abouti à rien, manquant de trop de détails et de preuves.
Au fond de lui, il savait pourtant que parfois, les rêves sont porteurs de messages, souvent déformés mais qui aident à découvrir pour mieux comprendre, le sens qu’on doit donner à sa vie mais insouciance du moment ou paresse, peut-être même les deux, Philippe, le beau blond aux yeux bleus, le brillant commercial bientôt promu au poste d’adjoint du PDG décida de remettre à plus tard ses recherches.
Il sauta du lit et se prépara à vivre une des plus belles et prometteuses journée de sa vie.
Pourtant, s’il avait su………
Mais ne dit-on pas que la chance frappe toujours deux fois ?