Au début tout se passait bien, il n’y avait ni ordre ni méthode, chacune était, allait, se mettait où bon lui semblait et puis voilà que les humains étaient arrivés.
Pendant quelques temps ils s’étaient tenus tranquilles, occupés surtout à trouver de quoi manger et puis, petit à petit, quand ils avaient su allumer le feu, cuire leurs aliments s’habiller de peaux de bêtes, ils s’étaient dit qu’il serait temps de se parler, non pas par borborygmes comme ils l’avaient fait jusque là mais par mots,des grands, des petits, des gentils, d’autres moins, peu leur importait, ils voulaient du vocabulaire alors, les plus intelligents s’étaient assis en rond dans la grotte, avaient fait des gestes et émis mille grognements pour en arriver à la conclusion, non sans mal, que les lettres dont ils connaissaient l’existence mais pas l’utilisation leur serviraient de base pour fabriquer ce qui s’appellerait plus tard, des mots, des phrases, des meetings , des dictionnaires et des académiciens.
Comme elles avaient ri lorsqu’elle avaient entendu les primitifs essayer de prononcer les mots les plus simples, et quand les lettres s’étaient rendue compte qu’on allait leur donner un accent, des qualifications propres, qu’on allait les associer à de la grammaire, elles ne s’étaient pas trop inquiétées car de tout cela elles se foutaient un peu, mais quand il avait été question de les aligner par ordre d’importance, là, l’émoi était arrivé à son comble.
Heureusement, les bipèdes avaient mis beaucoup de temps pour s’entendre ce qui leur avait permis de s’habituer à l’idée et de continuer d’exister comme si de rien n’était. Mais lorsque la liste, bien des fois remaniée, avait pris corps définitivement, les 26 copines avaient fait la gueule, surtout celles qui étaient en bout de liste ou encore parcequ’on avait introduit à n’importe quelle place, celles dont on n’avait pas souvent besoin.
Bien sur, on avait fait quelques faveurs à certaines, une cédille par ci un tréma par là, les accents aussi changeaient parfois les choses, mais il ne s’agissait que de broutilles destinées à noyer le poisson
C’est alors que la ponctuation avait fait son apparition et donné à chaque phrase le sens qui lui revenait.
Et puis au cours des siècles, les langues avaient pris forme. Celle du charretier, de l’Hobereau, du prince, chacun à son niveau apportant une pierre à l’édifice.
Les expressions aussi étaient arrivées: de terroir, populaires, militaires, aristocratiques, chaque classe de la société avait les siennes et se moquait de celles des autres.
Lorsque la poêsie étaient née, chaque lettre s’était enrichie d’une majuscule en début de ligne, d’une rime à la fin, et de jolies exclamations les plus belles étant : Ô ! et Las !
La prose, elle aussi, avait mis en valeur les tournures de phrases simples ou grandiloquentes, et l’académie française avait entériné le tout.
Les 26 lettres de l’alphabet avaient compris bien avant les hommes, qu’aucune d’elles n’était indispensable mais que toutes ensembles, elles étaient primordiales, que les guerres entre elles ne pouvaient que les affaiblir alors que l’entente ne pouvait que les grandir, que la ponctuation était leur forme de politesse, celle qui arrondie les angles comme celle qui met les choses au point.
Toutes ces lettres, voyelles ou consonnes, muettes ou aspirées, sont fières maintenant de nous servir au mieux et elles n’ont qu’une seule prière : être nos amies pour que dans le monde entier les gens, petits ou grands, de toutes races, de toutes couleurs, et de toutes religions, comprennent que c’est avec elles qu’on forme des mots, que c’est avec les mots que l’on forme des phrases et c’est avec les phrases que l’on propage les idées, en quand celles-ci parlent de paix et d’amour , de peace and love, de salam wa houb, de shalom et Ahava, l’espoir est en route.C’est pour cela qu’il faut veiller sur elles car sans elles, c’est notre instinct qui parle et lui, il n’a pas besoin de mots, seulement de force aveugle, d’orgueil et de fanatisme, pour anéantir ce que nous avons tant de mal à construire.