une étoile au fond du coeur-12ème partie
Alors, si le Rabbin a raison, il y a quelque chose qui cloche dans sa méthode car jusque là, elle a bien des fois ouvert sa grande gueule, expliqué, contredit mais n’a jamais convaincu personne ; peut-être faut-il voir les choses autrement : en dehors des personnages charismatiques, orateurs exceptionnels comme peuvent l’être Jésus, Gandhi et même Adolf, un individu noyé dans la masse n’a pas cette faculté ; il faut donc qu’il puisse convaincre avec autre chose, mais quoi ? et la réponse lui vient tout naturellement : il faut donner l’exemple, les discours s’envolent mais les actes restent ; elle qui n’est pas juive mais qui peut-être a pour mission de faire prendre conscience à ses semblables de leur erreur de jugement, elle doit, par son comportement, les amener à réfléchir sans jamais leur conseiller ou leur reprocher quoi que ce soit. C’est comme cela qu’elle doit agir et c’est cela qu’elle va faire.
Pour amener son mari à comprendre que les juifs sont des gens comme les autres, elle a laissé trainer les lettres qu’elle reçoit d’Israel afin qu’il les lise et c’est peut-être pour cette raison que lorsque, en Février 1970, ils sont invités à venir pour Pâques en Israel, il accepte qu’elle s’y rendre, lui ne pouvant pas quitter son travail.
Le voila donc ce pays si vieux et si jeune. Pendant quinze jours elle va parcourir trois mille kilomètres du Nord au Sud et d’Est en Ouest avec Lévy et sa femme qui ne la quittent pas d’une semelle. Tout a été organisé pour elle : Paques à Eilat, plusieurs jours pour visiter Jérusalem, un mariage où se pressent au moins quatre cents personnes, Safed, vieille ville pleine de petites ruelles et dans chaque jardinet ou pesque, feronnerie d’art, poterie, sculpture ; Jaffa; Tibériade, la mer morte
Elle adore le sud très désertique ; Levy lui montre avec orgueil le nord si verdoyant alors qu’il était comme le sud vingt cinq ans auparavant et il est un peu jaloux lorsqu’il apprend que la verdure existe aussi en France.
Ce voyage, son premier, elle ne l’oubliera jamais et c’est la mort dans l’âme qu’elle retourne dans son pays, chargée de nombreux cadeaux et souvenirs, des centaines de diapositives, plein de notes sur les lieux qu’elle a visités avec leur histoire. Elle sait déjà qu’elle ne pourra pas partager avec son entourage ses sensations, ses pensées, son admiration pour le peuple de son cœur, ce peuple auquel elle voudrait tant appartenir et dont ses racines la séparent.
Le veille de son départ, elle s’est trouvée seule avec Lévy. Il la regarde intensément et elle lit dans son regard une immense tendresse et aussi beaucoup d’amour et puis très vite il lui dit : « Jeannine, tu es une femme très désirable, et je suis un homme comme les autres, mais je t’ai respectée durant ces deux semaines, car pour moi tu es et tu resteras toute ma vie mon « image d’Epinal » quelque chose de beau,Quelque chose de pur à laquelle on peut penser dans les bons moments et se raccrocher dans les mauvais ». Tout cela a été dit en englais et elle ne s’expliquera jamais comment elle a compris, mais elle est sûre que tout cela a été dit et ça, plus que tout, elle le gardera au plus profond de son cœur.
Bichon a trois ans, son frère dix. Ils ont acheté un appartement à Asnières et les traites sont lourdes. Lorsque par hasard le maitre de maison jette un coup d’œil sur le livre de compte et qu’il reste de l’argent, il gonfle le jabot d’un air de dire « c’est quand même moi qui vous fait vivre, et bien vivre » mais quand il ouvre à nouveau le livre et que les traites ayant été payées la veille, il ne reste que des centimes, aux griefs déjà accumulés contre elle comme mauvaise mère et piètre épouse, s’ajoute celui de gestionnaire lamentable. Alors, tout doucement, elle s’écroule, n’a plus goût à grand chose, agit machinalement, quelquefois néglige son ménage, ce qui permet au mari de dire que s’il n’invite jamais personne c’est parce que la maison est un vrai taudis. Quand elle essaie de se ressaisir et prépare un bon repas, l’époux rentre ce jour là très tard ayant diné au restaurant avec un « client » et quand en fin de mois le repas est modeste, faute d’argent, il arrive de bonne heure mourant de faim.
C’est fini, le ménage ne va plus du tout mais, prisonnier des habitudes, il continue de brinquebaler.
Etant arrivé au maximum de ce qu’il pouvait espérer dans la société qui l’emploie depuis plusieurs années, il commence à rechercher une autre place ; pour cela, il a acheté un livre qui fait fureur « comment chercher un emploi….. et le trouver » méthode révolutionnaire à l’époque : comment mettre en valeur un curriculum vitae qui n’en a aucune, comment tourner sa lettre pour qu’elle se distingue des autres candidatures etc…
Beaucoup d’hommes de sa profession « agent technico-commercial » sont limités par le fait qu’ils essaient de trouver des postes qui ne les éloignent pas trop de la maison ; étant donné que pour lui c’est le contraire, il a dans sa missive un très joli paragraphe qui précise de long en large et en carré qu’il peut prospecter toute la Fance.
Chaque samedi, il coche dans les journaux les annonces intéressantes, chaque dimanche il recopie sa prose, chaque lundi il la poste.
Sur une bonne centaine de missives envoyées, il ne recevra qu’une seule réponse ; ses futurs patrons, qui n’ont pas dû lire le livre cité plus haut, font malgré tout preuve d’un peu d’humour :…… « en ce qui concerne « la région » qui vous serait attribuée, nous attirons votre attention sur la deuxième ligne de notre annonce qui précise « outre-mer » ; il s’agit d ‘un poste à pourvoir en Côte d’Ivoire ; si ce « détail » ne vous pose pas de problème, nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous contacter afin de prendre rendez-vous… »